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même une déclaration où, « afin de repousser toute censure imméritée, elle adressait ses remercîmens sincères à Th. Jefferson, écuyer, pour son administration impartiale, intègre et attentive, » mais en appuyant sur ses qualités civiles avec une insistance qui pouvait passer pour de la malice, et qui empoisonnait un peu la consolation donnée a l’ex-gouverneur. Il avait grand besoin de consolation. Les sarcasmes dont il avait été l’objet l’avaient profondément froissé, sa confiance en lui-même était ébranlée, et bien qu’il ait souvent cherché, à faire plus de bruit qu’alors de sa passion pour la retraite, il ne se sentit jamais aussi sincèrement dégoûté de la vie publique. Monroe le pressait d’y rentrer ; il s’y refusa.


« J’ai bien examiné mon cœur, répondit-il, pour savoir si j’étais radicalement guéri de toute ambition politique, et s’il n’en restait pas quelque atome caché qui pût venir me tourmenter un jour, lorsque je me serais définitivement renfermé dans les limites de la vie privée. Je me suis convaincu que la dernière fibre de cette passion avait été arrachée. J’ai recherché alors si j’avais le droit de me retirer. Je me suis dit que par un sacrifice constant de mon temps, de mon travail, de mes devoirs envers ma famille et mes amis, loin de gagner l’affection de mes concitoyens, seule récompense que j’aie jamais demandée, et dont je puisse sentir le prix, j’ai même perdu le peu d’estime dont j’avais joui autrefois. J’aurais pu me consoler de la désapprobation de braves gens mal renseignés ; mais celle de leurs représentans a été un coup auquel je ne m’attendais pas. Sans doute elle a été suivie d’une déclaration qui me disculpe ; mais cela n’empêche pas que j’aie été soupçonné aux yeux du monde, sans qu’on lui ait jamais rien dit publiquement qui puisse l’empêcher de supposer que j’ai été accusé de trahison du cœur en même temps que de faiblesse d’esprit. Je sens que cet outrage a fait à mon cœur une blessure que la tombe, qui guérit tout, pourra seule guérir. »


Peu de mois après, la tombe s’ouvrait à ses côtés, non pour lui, mais pour « la compagne chérie dont l’affection, toujours égale et toujours partagée, lui avait donné dix ans de bonheur. » Son désespoir fut profond et touchant. L’une de ses filles, Mme Randolph, a raconté comment il soigna et pleura celle dont la mort vint le rendre insensible aux cuisantes blessures dont il avait cru ne pouvoir trouver la guérison que dans son propre tombeau.


« Jamais femme n’a rempli les fonctions de garde-malade avec autant de tendresse et de sollicitude : lui, ses sœurs et ma tante Carr veillaient tour à tour ma pauvre mère. Elle languît pendant quatre mois, et pendant tout ce temps il se tint sans cesse auprès d’elle, ne quittant le chevet de la malade que pour aller écrire dans un petit cabinet dont la porte donnait sur le lit. Un instant avant la fin, sa sœur, Mme Carr, l’entraîna loin de la chambre dans un état voisin de la défaillance. Elle eut beaucoup de peine à l’amener jusque dans sa bibliothèque, où il s’évanouit et resta si longtemps couché et insensible, que l’on crut ne pouvoir point le rappeler à lui. Je ne fus pas témoin de la scène qui suivit ; mais je n’oserai jamais décrire la violence de son chagrin,