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canot, et son départ fut annoncé par un salut de dix-sept coups de canon. De leur côté, les troupes japonaises se mettaient en ligne. Le front était occupé par des bataillons d’infanterie et par des détachemens armés d’arcs ou de lances. À quelque distance en arrière, on apercevait des escadrons de cavalerie. Plus loin, à travers les vides laissés entre les troupes, se pressait une population nombreuse, avide de contempler les envoyés des terres lointaines. L’armée japonaise, réunie à Gorihama, pouvait compter environ 5,000 hommes. Les soldats paraissaient convenablement équipés ; les uniformes étaient propres et bien tenus ; fantassins et cavaliers étaient rangés en assez bon ordre. S’il faut en croire les récits américains, cette armée eût été peu redoutable ; on sentait qu’elle était plutôt destinée à la parade qu’au combat, et elle manquait de l’aplomb militaire et de l’air martial qui distinguent une vaillante troupe ; mais les affaires avaient pris la tournure la plus pacifique, et il n’y avait pas à craindre que les Japonais, résignés à accueillir les Américains comme des hôtes, méditassent la moindre trahison.

Le commodore, guidé par Yezaïmen, se dirigea vers la tente où devait avoir lieu l’entrevue. Deux matelots, choisis parmi les plus robustes, portaient le pavillon des États-Unis et le guidon de l’amiral. Deux mousses étaient chargés des boîtes qui renfermaient la lettre du président et les autres documens officiels qui allaient être remis aux plénipotentiaires japonais. Enfin deux nègres, aimés jusqu’aux dents, se tenaient à droite et à gauche de l’amiral et lui servaient de gardes du corps. C’étaient les plus beaux nègres que l’on eût trouvés dans l’équipage. La narration officielle ne nous dit pas pourquoi le commodore avait pris de pareils satellites, et nous chercherions vainement dans l’exhibition de ces deux nègres, si beaux qu’ils fussent, un effet de couleur locale. La population noire des États-Unis ne s’attendait sans doute pas à être représentée dans ce défilé à un poste d’honneur. — Les plénipotentiaires japonais, Toda, prince d’Idzu, et Ido, prince d’Iwami, étaient dans la salle d’audience lorsque le cortège américain fit son entrée. Ils se levèrent aussitôt, saluèrent gravement sans prononcer aucune parole, et se rassirent pendant que l’amiral et les principaux officiers prenaient place dans les fauteuils qui avaient été disposés pour eux. Le prince d’Idzu était un homme d’environ cinquante ans ; il avait les traits intelligens et la physionomie aimable ; son collègue, de dix à quinze ans plus âgé paraissait au contraire de très mauvaise humeur. Peut-être la cour de Yédo avait-elle réuni à dessein ces deux figures de diplomates. Sa véritable pensée à l’égard des Américains était écrite sur le visage renfrogné du prince d’Iwami ; le prince d’Idzu avait pour mission de sauver les formes. Les hauts dignitaires étaient magnifiquement vêtus de robes de soie, dont le tissu disparaissait