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agricole, sans que la production industrielle en ait conquis un seul.

J’ai dû poser des chiffres hypothétiques pour faire bien comprendre le jeu des faits. J’ignore de combien les populations rurales ont réellement diminué, je sais seulement que cette réduction a été énorme. Même dans les départemens où le dénombrement a accusé une dépopulation sensible, le vide apparent est plus grand que ne l’indique le document officiel. On a porté partout comme présens dans les communes, en vertu des circulaires ministérielles, les ouvriers absens pour une cause temporaire, et qui sont considérés comme devant revenir à leur résidence habituelle, y compris ceux employés aux chemins de fer et aux travaux de Paris. Cette circonstance fait présumer que le déplacement, si considérable qu’il soit d’après les chiffres officiels, doit avoir en réalité des proportions beaucoup plus fortes. Il est en outre à remarquer que l’émigration et la mortalité ont surtout porté sur les hommes adultes, qui emportent avec eux la force effective. En fait, beaucoup de travaux ordinaires des champs n’ont pu être exécutés depuis plusieurs années, faute de bras.

Je ne voudrais pourtant pas que les cultivateurs s’en prissent à l’industrie de ces embarras. Rien n’annonce que l’industrie ait pris dans ces derniers temps un développement subit. Tout le monde sait que la plupart des matières premières, comme la soie, la laine, l’alcool, deviennent extrêmement rares et chères, ce qui a dû ralentir un grand nombre de manufactures. La production métallurgique a seule fait de grands progrès, grâce à l’exécution continue des chemins de fer ; mais il ne paraît pas que cette destination ait pris beaucoup plus de bras qu’à l’ordinaire. Au lieu de faire trop de chemins de fer, nous n’en faisons pas assez. Nous sommes de plus en plus en arrière de l’Angleterre, de la Belgique et de l’Allemagne. Tels qu’ils sont, les chemins de fer nous ont rendu d’immenses services ; sans eux, la disette eût été dix fois plus formidable, et nous devons avant tout désirer qu’ils s’étendent de plus en plus, même dans l’intérêt de l’agriculture. On n’y consacre pas plus de 300 millions de nouveaux capitaux par an tout compté, et le progrès constant du trafic montre assez combien ils sont utiles.

Je ne suis pas également sûr du profitable emploi des 300,000 âmes concentrées à Paris. Là est, avec la guerre, la dérivation vraiment regrettable. Non que les agglomérations urbaines, quand elles se forment naturellement, soient toujours mauvaises : Londres a presque deux fois plus d’habitans que Paris, et l’influence de ce grand centre de production et de consommation sur toutes les industries anglaises, sur l’agriculture en particulier, n’a rien que d’avantageux.