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ici pourquoi elles ne l’étaient pas également partout, je me contenterai de remarquer que parmi les principaux obstacles figuraient l’excès de la centralisation et l’abus des dépenses militaires. Quoi qu’il en soit, c’était sans comparaison l’époque la plus florissante que la France eût jamais vue que les dernières années de la monarchie parlementaire, et s’il était possible de rêver mieux, il était raisonnable de se montrer satisfait, comme on disait alors. Arrivent la disette de 1847 et la révolution de 1848, tout change ; l’excédant des naissances sur les décès, qui avait été de 237,000 âmes en 1845, descend à 62,000 en 1847, et tombe jusqu’à 13,000 en 1849, année du choléra. Le progrès de la population se ralentit, la durée moyenne de la vie ne s’accroît plus. Ce nouveau mouvement s’aggrave encore après 1851, sous la double influence de la disette et de la guerre. Dans les années 1854, 1855 et probablement aussi 1856, la somme des décès l’emporte pour la première fois sur les naissances ; la population recule au lieu d’avancer.

Rien n’est plus curieux à observer que l’effet des circonstances politiques sur le mouvement de la population. Il a suffi de l’inquiétude universelle jetée dans les esprits en 1848 par la menace d’atteintes à la propriété pour diminuer sensiblement le nombre des naissances. C’était là un effet de la prévoyance que Malthus aurait déploré tout le premier, sinon en lui-même, du moins dans sa cause. La même inquiétude a certainement contribué à augmenter le nombre des décès. Quiconque a conservé le souvenir des terribles agitations de ce temps ne saurait s’en étonner. Il est extrêmement remarquable que les deux années qui depuis longtemps avaient présenté le chiffre de décès le plus considérable, 1832 et 1849, aient suivi de près deux révolutions. Dans l’un et l’autre cas, la mortalité a pris le nom de choléra ; mais très probablement elle n’aurait pas été aussi grande en temps prospère. Toutes les industries nationales se sont arrêtées, et la première de toutes, l’industrie agricole, a plus souffert que toute autre de l’incertitude de l’avenir.

Cette crise violente a duré environ deux ans. Dès 1850, la France reprend confiance en elle-même ; l’excédant des naissances sur les décès, qui était tombé à 13,000 en 1849, remonte brusquement à 187,000 en 1850, redescend à 112,000 en 1851, par suite de nouvelles incertitudes, se relève à 144,000 en 1852, se maintient à 141,000 en 1853 ; ce n’était pas encore l’équivalent de 1845, mais enfin c’était beaucoup mieux que sous la république, et on pouvait espérer un progrès continu, quand surviennent quatre mauvaises récoltes successives. Le mouvement rétrograde se déclare alors, et la mort, dans ce perpétuel combat, l’emporte de beaucoup sur la vie. Il est très difficile d’apprécier ce que la France a perdu depuis quatre