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de tous, la Monadologie, que publia Erdmann en 1814, n’a rien ajouté de bien notable à ce que l’on connaissait de l’immortel auteur de la Théodicée. MM. Guhrauer, Grotefend, de Rommel, Pertz, Gerhardt de Salzefeld, en donnant successivement dans ces dernières années le Projet d’expédition en Égypte, les Écrits allemands, la Correspondance avec Arnauld et avec le landgrave de Hesse, enfin de nombreux fragmens historiques et mathématiques, ont fait beaucoup pour la préparation de l’édition complète que le monde savant attend encore ; mais leurs curieuses recherches n’ont pas abouti à révéler une seule idée vraiment nouvelle du grand philosophe. La publication de M. de Careil est du genre de ces dernières, et c’est ce qu’il faut commencer par se dire pour la juger ensuite tout ce qu’elle vaut. Lui demander davantage et s’attendre à y trouver quelque chose d’intellectuellement inédit, si je puis m’exprimer de la sorte, ce serait s’exposer à un mécompte préjudiciable à l’estime même que l’on doit faire du travail du nouvel éditeur.

Le mérite de la publication de M. Foucher de Careil, et dans ces limites il est, à notre avis, de premier ordre, c’est d’éclairer certaines parties de la croyance philosophique de Leibnitz d’un jour sinon nouveau, du moins singulièrement saisissant et pur. S’il y avait jusqu’ici, — pour les lecteurs superficiels s’entend, pas un des autres n’avait pu s’y tromper, — quelques doutes sur le vrai caractère de la philosophie leibnitienne, ces doutes aujourd’hui sont levés, et les nouveaux opuscules achèvent de mettre l’originalité du puissant penseur de Leipzig dans une complète lumière. Les critiques notamment à qui la lecture de la Théodicée n’avait pas suffi à démontrer que Leibnitz n’était ni un fataliste, ni un panthéiste, devront, après ce que vient de donner M. Foucher de Careil, renoncer tout à fait à la belle idée qu’ils ont eue de voir dans l’héritier de Descartes un élève des rose-croix et un théosophe de l’école d’Alexandrie. Les nouveaux opuscules ne permettront plus du moins à personne de se figurer un Leibnitz différent de celui qui s’est peint lui-même dans tant de chefs-d’œuvre.

C’est encore la bibliothèque de Hanovre, cette inépuisable mine qui ne cesse depuis Feller de satisfaire à la curiosité des éditeurs de Leibnitz, qui a fourni à M. Foucher de Careil les intéressans papiers qu’il publie. Est-ce la fin, et après tant de recherches les matériaux d’une édition complète sont-ils donc tous réunis ? Leibnitz a tant pensé et tant écrit, et sur tant de sujets, qu’il est difficile de répondre à la question. Nous inclinerions, quant à nous, vers la négative, et vraisemblablement les tiroirs magiques de la bibliothèque de Hanovre gardent encore pour les bibliophiles à venir des surprises de plus d’un genre. Comment se fait-il, par exemple, que parmi tant de pieux et curieux leibnitiens, pas un, à notre connaissance, n’ait décrit le meuble unique que le grand homme avait devant lui lorsqu’il travaillait, et qu’il y a quelques années j’ai vu encore au milieu d’une des salles de la bibliothèque de Hanovre ? Je veux parler d’une armoire dont la construction toute spéciale explique d’une manière frappante l’un des secrets de la composition littéraire de Leibnitz. C’est un casier en deux pièces, roulant sur des charnières, et qui, lorsqu’il est ouvert, offre une double rangée, horizontale et perpendiculaire, de petits compartimens étiquetés et pouvant recevoir, chacun un certain nombre de notes. La tradition rapporte que Leibnitz, qui lisait presque toujours une plume à la main, avait sur sa table quantité