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sans peine ; pour abréger, il n’avait scié que ce qui lui avait paru rigoureusement nécessaire. Se tenant alors suspendu à la corde qu’il venait d’assujettir solidement à un trou fait dans le mur, il met ses oranges dans ses poches, — elles l’avaient gêné au passage des grilles, et il s’était vu forcé de les déposer sur le bord de la fenêtre, — il se fait de la muraille un point d’appui pour les pieds et commence sa périlleuse descente dans l’attitude d’un marin, le long d’une corde garnie de nœuds. Il était déjà à quatre-vingt-quatre pieds de sa cellule lorsqu’il sentit la force lui manquer. « La douleur que me causait, dit-il, la tension des muscles était si violente que je ne pouvais la supporter plus longtemps. Je vis alors une corniche qui semblait m’inviter à y appuyer les pieds. Malheureusement la corde me glissa entre les doigts, malgré tous mes efforts pour la retenir. Je regardai en bas, et, m’imaginant dans l’obscurité que je n’étais plus qu’à six pieds du sol, je me laissai aller de manière à tomber à quatre pattes. Ce calcul fut l’œuvre d’une seconde ; mais beaucoup plus long fut le temps que je mis à tomber, car j’étais encore à une hauteur de plus de vingt pieds. Le coup fut terrible. Je perdis connaissance. En revenant à moi, je sentis une douleur poignante au genou et à la jambe droite. Je crus m’être brisé ce membre. Au bout de quelques instans, je portai une orange à mes lèvres, et je revins à la vie. Quoique la souffrance fut atroce et ne semblât pas diminuer, je recouvrai, par un effort de volonté, assez de force pour changer de bas, de chemise, de pantalon. On a dû trouver sous ma fenêtre les vêtemens que je laissai, avec des peaux d’orange. Je levai les yeux. Si c’était à refaire, me dis-je, je ne tenterais pas l’aventure une seconde fois. »

La réflexion était assez naturelle ; mais comme, à tout prendre, il était plus facile désormais de fuir que de rentrer en cage, M. Orsini se traîna, plutôt qu’il ne marcha, vers l’ouverture par laquelle les eaux du lac peuvent être introduites dans le fossé. Il y trouva trop de boue et de vase pour s’y pouvoir risquer. De l’autre côté, toute issue était fermée ; impossible donc de parvenir jusqu’aux roseaux pour s’y cacher jusqu’à ce bienheureux coup de cinq heures auquel les portes du pont sont ouvertes à la circulation. Forcé de rebrousser chemin, le fugitif essaya inutilement de grimper sur les arches sous lesquelles il avait passé : la douleur qu’il ressentait au pied le fit retomber sans force au fond du fossé. Plusieurs tentatives de ce genre, entreprises avec ce courage qu’inspire le désespoir, ayant également échoué, le malheureux Orsini finit par perdre toute espérance, tout désir de salut. En ce moment-là il lui eût été indifférent d’être repris. Vaincu par la fatigue et l’épuisement, il dormit une heure. À son réveil, le jour commençant à poindre, il se traîna comme il put le plus près possible de l’endroit où passaient ceux qui allaient traverser le pont. Dans sa détresse il ne pouvait plus rien pour lui-même ; sa dernière chance était que, au risque de se compromettre, quelque âme charitable vînt le tirer de là. Combien n’était-il pas plus probable que parmi ceux à qui il s’adresserait il trouverait un dénonciateur !

Le premier qu’il vit arriver était un jeune homme de vingt ans. « Tirez-moi de ce fossé ! s’écrie l’infortuné ; j’y suis tombé, étant ivre, la nuit dernière. » Le jeune insouciant passe outre, sans faire attention à cette singulière requête. Deux personnes le suivent de près, même demande. « Povero signore, disent ceux-ci, si nous essayions de vous tirer de là, nous nous mettrions