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fois, pendant ces heures laborieuses, le désespoir s’empara de son âme ! Les visites, les bruits du corridor, la fatigue, l’obligeaient à s’arrêter presque à chaque instant, et néanmoins, sous l’impulsion d’une volonté forte, le travail recommençait, de plus en plus pénible, la seconde grille étant assez éloignée de la première pour augmenter sensiblement les difficultés.

La fenêtre ouverte, il fallait des cordes pour descendre. Des draps, des serviettes en étaient la matière indiquée ; mais ceux qu’on laissait aux prisonniers pour leur usage étaient visiblement insuffisans, et s’en procurer d’autres ne paraissait pas chose facile. M. Orsini essaya. Le jour venu où l’on devait, suivant l’usage, changer son linge, il se tint assidûment à sa table, en apparence très occupé à lire et à composer. Un geôlier entre, lui apporte des draps propres et le prie de lui remettre les autres. « Laissez-moi finir ces pages, et je vous les donnerai. En attendant, déposez ici votre paquet. » À cette réponse la confiance aveugle des surveillans ne permettait aucune objection. La porte se referme, les draps sont aussitôt cachés par l’heureux possesseur : un peu plus tard les hommes de service étaient relevés par d’autres, et le tour était joué. Le nouveau-venu se présente. « Vous a-t-on changé de draps ? dit-il. — Sans doute, » répond M. Orsini. Il ne fut plus question de rien restituer. Avec quatre draps et plusieurs serviettes, l’échelle se trouva bientôt achevée. Désormais tout était prêt : restait à attendre le moment propice pour l’exécution.

Ici encore se présentaient d’assez graves obstacles. Si les nuits orageuses de février et de mars avaient permis à M. Orsini de travailler à la fenêtre sans être entendu des sentinelles, elles avaient en même temps rempli d’eau les fossés ; or, comme il devait y tomber dans sa chute, il comprit la nécessité d’attendre que ces fossés fussent à sec. Le moindre bruit l’eût trahi, et s’il s’était présenté tout mouillé pour passer le pont, il aurait infailliblement éveillé l’attention des factionnaires qui en gardaient l’entrée. D’autre part il fallait que le beau temps coïncidât avec le premier quartier de la lune, qui lui donnerait seul assez d’obscurité pour qu’il pût s’aventurer au dehors, le long d’un drap blanc, sur le mur noirâtre de la prison. Un accident imprévu faillit lui faire manquer l’occasion. Dans sa précipitation à descendre de sa chaise à l’approche des geôliers, il se fit un matin une grave entorse. La douleur, si forte qu’elle fût, n’était rien ; mais ce retard inévitable ne pouvait-il amener la découverte de ses préparatifs ? Cette crainte le décida, au bout de quelques jours, à braver la souffrance, qui n’avait pas encore disparu. Le 29 mars 1855, toutes les conditions nécessaires se trouvant réunies, il attache à sa corde les objets qu’il voulait emporter avec lui, habits de rechange, livres, manuscrits, etc., et les descend au fond du fossé. Il s’était procuré quelques oranges, sachant bien que, s’il se blessait en tombant, il n’éprouverait pas de plus cruelle torture que la soif. Sur le soir, il se suspend à son échelle, dans sa prison, pour en éprouver la solidité ; puis, après l’avoir de nouveau cachée, il se met au lit et attend la visite de nuit. S’il fallait l’en croire, la fatigue l’aurait emporté sur le besoin de se tenir en éveil, et il aurait profondément dormi. La visite a lieu comme à l’ordinaire ; on ne remarque rien des choses insolites qui auraient dû frapper des yeux moins prévenus. À peine les geôliers dehors, M. Orsini se lève et s’élance à la fenêtre ; il avait hâte d’en finir. Son passage à travers les barreaux ne s’effectua pas