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en mémoire à M. Orsini, et l’avertissaient qu’il entrait dans une de ces prisons au seuil desquelles il faut laisser toute espérance. La surveillance dont il y fut l’objet confirma cette triste impression : treize visites régulières toutes les vingt-quatre heures, sans compter les visites extraordinaires et imprévues, devaient le forcer à se tenir éternellement sur le qui-vive et faire évanouir d’avance tout projet d’évasion. Au prix de ce malheur, le plus grand de tous pour un homme qui ne rêvait que liberté reconquise et nouveaux périls à braver, qu’étaient des privations, des souffrances de toute sorte ? La compassion de ses geôliers, au surplus, lui en épargna quelques-unes. Son robuste appétit ne se contentait point de la ration quotidienne, et il n’avait pas encore d’argent pour l’augmenter à ses frais : ces hommes, ordinairement cupides, qui s’engraissent des dépouilles des détenus y pourvurent avec désintéressement, et plus tard ne voulurent point être indemnisés.

M. Orsini parle longuement de la cour de justice et des interrogatoires multipliés qu’il eut à subir. Il serait peu convenable, au moment où le jeune empereur d’Autriche vient de dissoudre ce tribunal, de répéter des accusations sans doute exagérées. J’ai peine à croire, par exemple, que les juges autrichiens apostent de faux témoins. À quoi bon, puisque la procédure n’est pas publique, et qu’on n’en doit compte qu’à l’autorité supérieure ? C’est bien assez de ces vices radicaux dans l’administration de la justice : secret des débats, suppression du droit de défense, refus de faire connaître à l’accusé le code criminel, et de lui accorder les plus simples garanties qui sont de droit commun. La cour spéciale de Mantoue, étant purement civile, s’est toujours montrée plus douce dans les formes que les tribunaux militaires. C’est à l’habileté de ses membres, et non à la bastonnade, qu’elle devait les aveux arrachés aux inculpés. Il est vrai que, pour le résultat final, la différence était moindre entre les deux juridictions : trop souvent une condamnation à mort témoignait de leur égal désir de plaire. Pendant que M. Orsini était au fort Saint-George, le colonel Calvi, un des défenseurs de Venise, avec lequel le prisonnier entretenait ces relations murales si connues par les récits de Silvio Pellico, fut pendu presque sous ses yeux.

Ce nouvel acte d’excessive rigueur l’aurait rappelé au sentiment vrai de sa position, alors même que la tolérance qu’on lui témoignait aurait pu un instant le lui faire perdre. Sans doute il lui était permis de chanter, de siffler, de lire et d’écrire ; on laissait à sa disposition des livres qui devaient pourtant jouir d’une médiocre faveur auprès de ses juges, Jean-Jacques Rousseau par exemple, et Shakspeare ; mais si, comme dit le poète anglais, tout est bien qui finit bien, il est vrai aussi que rien n’est bien que ce qui finit bien, et la perspective de la potence était peu propre à rendre, le prisonnier sensible aux adoucissemens de régime que l’Autriche semble avoir tacitement consentis, si elle ne les a prescrits officiellement.

M. Orsini n’était pas homme à gémir et à méditer longtemps d’une façon en quelque sorte platonique. Ses méditations se traduisaient bien vite en actes. « Je ne veux pas finir comme Calvi, il faut donc m’échapper. » Telle fut, à la nouvelle de cette exécution, sa première et désormais son unique pensée. Après avoir donné quelques larmes à son malheureux ami, il court à son lit, enlève les draps, attache à un bout la tasse qui lui servait à boire, et, grimpant à la fenêtre, il mesure la distance qui le sépare du sol. Elle était