Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un frappant exemple l’existence singulière et l’incurable folie de ces conspirateurs aveugles qui croient agir quand ils s’agitent. Né dans les Romagnes en 1819, habitué dès son enfance à entendre maudire le gouvernement des prêtres, sous lequel il vivait, il entra dès l’âge de vingt-deux ans dans les sociétés secrètes. Trois ans après, en 1844, il était jeté en prison, — son père l’y avait précédé sans pouvoir le rendre plus circonspect, — et condamné aux galères à perpétuité, pour avoir conspiré contre tous les gouvernemens de l’Italie. Conduit, comme un forçat qu’il était, à Cività-Castellana, il passa quelques mois dans cette forteresse, ancienne maison de plaisance d’Alexandre VI, et où l’on conserve encore la chambre de ce pape avec les peintures obscènes qui la décoraient. Il allait être dirigé sur Cività-Vecchia, sa destination définitive, lorsque l’amnistie de Pie IX (juin 1846) vint inopinément le rendre à la liberté. Loin de profiter, comme Silvio Pellico, de la leçon qu’il venait de recevoir, M. Orsini reprit son existence de conspirateur au point où il l’avait laissée en entrant en prison. Il se fait expulser de Florence, et, par son obstination à rentrer en Toscane, force le gouvernement du grand-duc à le faire reconduire, chargé de chaînes, à la frontière des États-Romains. On le trouve prenant part aux mouvemens insurrectionnels des Abruzzes, il est à Rome sous la dictature de Mazzini. Après la chute de la république romaine, il est à Gênes, à Nice, dans le duché de Modène, pris, repris par les gendarmes, par les carabiniers, et leur échappant toujours. Enfin les autorités piémontaises se débarrassent de sa turbulence en l’embarquant pour l’Angleterre.

Pourquoi M. Orsini omet-il dans son récit l’acte le plus honorable peut-être de sa vie politique, je veux dire sa coopération à la défense de Venise ? Apparemment ce n’est là à ses yeux qu’un épisode insignifiant dans l’existence d’un conspirateur. N’ayant été, sous les ordres du général Ulloa, qu’un soldat que son incontestable courage n’a pu faire sortir de son obscurité, il estime peu les services qu’il a pu rendre alors à la patrie italienne, comparés à ceux qu’il croit lui avoir rendus en acceptant de M. Mazzini des missions secrètes pour révolutionner l’Italie au lendemain de la défaite ; Qu’elles sont étranges les aberrations de la conscience humaine, quand une raison calme et sûre ne vient pas nous éclairer !

À Londres, où il passa cinq mois, dans l’intimité de M. Mazzini, l’ancien prisonnier du pape reçut ses instructions et se retrempa pour de nouvelles luttes. Il repartit bientôt (mars 1854) et se rendit en Suisse sous le nom de Tito Celsi. Le mouvement qu’il essayait d’organiser ayant échoué, comme tant d’autres, il fut forcé de se cacher dans les montagnes ; il entendit plus d’une fois les balles siffler à ses oreilles, coucha audacieusement au milieu des gendarmes et des tirailleurs qui le cherchaient, se sauva en France, revint en Suisse au mois de juin suivant pour préparer une nouvelle et non moins infructueuse expédition, et fut enfin arrêté sous son pseudonyme de Tito Celsi. Accusé d’avoir introduit des armes dans le pays, il est conduit à Coire. Cette fois encore il échappe aux gendarmes malgré leur vigilance extrême, se cache à Zurich, et prend le nom de George Hernagh, moins pour échapper aux poursuites que pour achever sa tâche interrompue. Le 1er octobre de la même année (1854), il partait audacieusement pour Milan, muni de nouvelles instructions de M. Mazzini.