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guère à sa place dans cette compagnie bourgeoise. Riche et libre, M. de Fink, issu d’une famille noble, a voulu occuper ses loisirs ; le commerce l’a tenté, et il est entré chez M. Schroeter, comme un autre serait entré au régiment. Avais-je tort de parler de l’honneur du drapeau pour caractériser le zèle des employés de la maison ? Au reste, le jeune gentilhomme n’a pas enchaîné complètement sa liberté ; il ne prend de la tâche commune que ce qui lui convient ; dans le style commercial des Allemands, cela s’appelle un volontaire. Le volontaire est bon camarade, il a de l’esprit, de la verve ; il égaie les réunions, mais il a conservé d’étranges allures aristocratiques. Dès les premiers jours, Antoine Wohlfart, traité par lui d’une façon impertinente, se croit obligé de le provoquer en duel. Fink a du cœur ; il est touché de la dignité candide de ce jeune homme ; le novice dont il croyait faire son jouet lui inspire tout à coup une sympathie ardente. C’est lui qui se charge de l’éducation de Wohlfart, il veut en faire un parfait gentleman, il l’introduit dans le monde, et les distractions élégantes, les aventures de salon succèdent chaque soir au travail régulier de la journée : Voilà bien des pièges pour Wohlfart. Rassurez-vous : au moment où Fink se félicite de l’avoir façonné aux grâces mondaines, c’est lui-même qui a été transformé par la naïve droiture de son ami. Wohlfart, sans y prendre garde, a donné à Fink des leçons que celui-ci n’oubliera pas. Cette éducation réciproque s’accomplit au milieu d’incidens qui ne révèlent pas tous une invention très heureuse ; on cherche d’abord où l’auteur veut en venir, on se demande pourquoi ces scènes de bal, ces soirées aristocratiques et toutes ces puériles intrigues où il s’oublie ; le but qu’il se propose se démasque bientôt, et cette chronique, en apparence frivole, s’éclaire d’un rayon de beauté morale. L’honnêteté bourgeoise, sans même avoir besoin de lutter, a triomphé naïvement, instinctivement des séductions du gentilhomme.

C’est donc un roman bourgeois que M. Freytag a voulu écrire ; les victoires de ses héros sont les victoires du sentiment bourgeois, leurs vertus des vertus bourgeoises. La bourgeoisie a été raillée, et trop souvent elle a mérité de l’être ; M. Freytag laisse à d’autres le soin de célébrer sa gloire, il préfère lui donner des leçons. Il désire surtout la mettre en garde contre la fausse poésie, et il semble qu’il dise à tous les membres du tiers-état : « Sachez qui vous êtes, n’échangez pas votre or contre de la fausse monnaie. » On se tromperait cependant, si l’on croyait que M. Freytag sacrifie les personnages aristocratiques de son tableau : le baron de Rothsattel est une nature chevaleresque, sa fille Lénore est une des plus suaves créations de la littérature allemande de nos jours ; seulement ces brillantes figures s’altèrent, s’effacent peu à peu, tandis que la simple et