Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sanglante, et qu’aujourd’hui le cabinet de Londres s’est vu obligé d’approuver les actes de ses agens sous peine de créer aux Chinois l’illusion d’une victoire qui ne ferait qu’exalter leurs passions fanatiques contre les étrangers, et de laisser sans protection la vie et la propriété de ses nationaux. Le plus sérieux argument qui puisse être produit contre les autorités britanniques en Chine, c’est lord Palmerston lui-même qui l’a jeté dans la discussion, lorsqu’il a dit que l’Angleterre s’était entendue avec la France et les États-Unis pour envoyer des plénipotentiaires dans le Céleste-Empire. S’il en était ainsi, pourquoi se hâter ? Pourquoi substituer une action isolée, brusque et violente à une démarche qui pouvait avoir d’autant plus d’efficacité qu’elle s’appuyait sur les forces de trois des plus grandes nations du monde ?

C’est sous cet aspect que les affaires de Chine se présentaient dans le parlement. Elles prêtaient à la critique sans nul doute. Aussi les motions de censure se sont-elles succédé. La première, comme on sait, a été proposée à la chambre haute par lord Derby, qui a montré une rare puissance de parole. Lord Derby a été vaincu par le fait, mais les coups qu’il a portés au ministère dans la chambre des lords n’ont peut-être pas été entièrement étrangers au résultat de la discussion de l’autre assemblée. Dans la chambre des communes, c’est M. Cobden qui a pris l’initiative en réclamant une enquête et en proposant un blâme contre la politique suivie en Chine. Ici lord Palmerston s’est trouvé en face de tous les talens réunis, des hommes principaux des partis. M. Disraeli a parlé dans le même sens que lord John Russell, et M. Roebuck s’est rencontré avec M. Gladstone et sir James Graham dans une même pensée d’opposition. Lord Palmerston a vainement combattu ; il a eu beau tracer un portrait peu séduisant du mandarin Yeh, mettre en présence la barbarie chinoise et les intérêts du commerce britannique, la fortune lui a été contraire : quand le vote est venu, la majorité s’est tournée contre lui, et cette majorité, il faut le dire, ne trouvait pas seulement sa puissance dans le nombre. Après une telle manifestation, il ne restait plus au chef du cabinet qu’à quitter le pouvoir ou à dissoudre le parlement : il a choisi cette dernière alternative. C’est là une conséquence un peu imprévue de la diplomatie du mandarin Yeh, et ce n’est pas la première fois au surplus qu’une grande question extérieure décide de l’existence d’un cabinet ou d’un parlement. On ne saurait s’y méprendre cependant : il est bien clair que le dernier vote de la chambre des communes ne peut avoir pour résultat d’affaiblir l’action de l’Angleterre devant un empire comme la Chine, dont la puissance ne se mesure pas heureusement au nombre de ses habitans. Bien des hommes qui ont adhéré à la motion de censure n’agiraient point autrement que ne le fait le cabinet de Londres, parce que la première loi en fin de compte, c’est de sauvegarder la dignité européenne, les intérêts compromis, la vie des nationaux anglais.

Si on y regarde de près, cette question de Chine est venue bien à propos ; elle a été la pointe d’une arme habilement aiguisée contre le ministère, et dans une affaire spéciale où des fautes évidentes ont été commises, lord Palmerston a peut-être porté la peine de toute une politique. Le chef actuel du cabinet de Londres jouit à un certain point de vue, on n’en peut douter, d’une grande popularité ; dans sa longue carrière, il s’est fait l’homme du patriotisme britannique. Il y a longtemps cependant que la politique de lord Palmerston est l’ob-