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plume de M. Achard, il est devenu pathétique, et l’émotion n’est jamais navrante. Il s’agit d’un fils de famille ensorcelé par une courtisane. Au premier aspect, cette donnée semble vulgaire, et plus d’une fois déjà elle a été développée sous des formes diverses. Je ne dirai pas que M. Achard l’a tout à fait rajeunie, mais je puis du moins affirmer qu’il l’a franchement acceptée et s’est appliqué à la sonder sans s’effrayer de la profondeur de l’abîme qui s’ouvrait devant lui. Se ruiner pour une courtisane est chose fort triste assurément, aimer une femme indigne d’affection est cent fois plus triste encore. Un homme jeune et courageux retrouve dans le travail, sinon l’équivalent du patrimoine qu’il a follement dissipé, du moins l’indépendance et la dignité. Les plaies du cœur se cicatrisent lentement, et souvent même refusent de se fermer, M. Achard a placé son héros entre une femme tendre et dévouée, dont la tendresse, le dévouement, demeurent longtemps méconnus, et une créature sans nom qui met sa beauté au service du mensonge. Toutes les angoisses d’un cœur généreux trompé dans son espérance, et qui s’obstine dans sa crédulité, sont retracées avec une vérité poignante. Je regrette pourtant que l’auteur ait peint la courtisane avec plus de soin que la femme pure. Il me répondra peut-être que le titre même de son livre l’obligeait à prendre ce parti. Je suis d’un autre avis ; je pense que son récit aurait gardé toute sa valeur, si les deux figures dont je parle eussent été dessinées avec le même soin et modelées avec le même relief. Tous ceux qui ont lu la Robe de Nessus rendent justice aux intentions excellentes de l’auteur, et pour ma part je n’ai jamais mis en doute le but moral de cet ouvrage. Qu’il me soit permis pourtant de blâmer la prolixité des descriptions. Si la richesse de l’ameublement joue un rôle important dans la vie des courtisanes, puisqu’elles mettent leur vanité à dépouiller leurs dupes pour s’entourer de velours et de soie, qu’elles mentent pour un bracelet, qu’elles pleurent pour un collier, qu’elles s’évanouissent pour une rivière de diamans, il ne faut pas oublier pourtant que l’importance du cadre diminue l’importance des personnages, et M. Achard ne parait pas s’en être souvenu assez constamment. À côté d’une page émouvante qui révélait le sérieux désir de peindre la douleur humaine, sans rien négliger pour tirer de cette peinture même un utile enseignement, nous trouvons trop souvent plusieurs pages où l’ébène et le palissandre, le satin et le lampas sont célébrés avec une complaisance exagérée. Je sais que c’est la mode parmi les écrivains de nos jours : ceux qui vivent d’une vie modeste tiennent à parler de l’opulence comme s’ils la connaissaient familièrement. Souvent même dans leurs descriptions ils vont bien au-delà de la réalité la plus dispendieuse ; ils étonnent de leurs caprices les banquiers et les princes, ils prodiguent l’or et