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M. About a écrit sur la Grèce contemporaine un livre curieux, qui ne donne pas de ce pays une idée très avantageuse, mais qui serait, au témoignage de voyageurs bien informés, l’image fidèle de la réalité. Cet heureux début lui a suggéré la pensée très naturelle de présenter sous une forme plus animée les renseignemens qu’il avait recueillis, et c’est à cette pensée que nous devons le Roi des Montagnes. Ce récit a réussi et devait réussir, car il est amusant, et se recommande surtout par une qualité qui séduira toujours les lecteurs français : on y trouve de l’esprit comptant. Si j’avais à marquer l’origine de cette manière leste et rapide, je serais obligé de remonter jusqu’aux romans de Voltaire : non pas que je veuille établir aucune comparaison entre le style de Zadig et le style du Roi des Montagnes, tous les hommes lettrés désavoueraient un tel caprice. L’auteur de Zadig ménage le trait et s’arrête toujours à temps ; l’auteur du Roi des Montagnes, doué d’une heureuse nature, habitué à voir le côté plaisant de toute chose, se contente trop facilement de la première raillerie qui se présente, et ne choisit pas la forme de sa pensée avec un discernement assez sévère. Il y a donc entre Zadig et le Roi des Montagnes la différence du tableau à l’ébauche. Cependant ces deux ouvrages appartiennent à la même famille. Si l’élève eût consenti à suivre son maître jusqu’au bout, à profiter de ses leçons sans paresse, sans hésitation, au lieu d’une ébauche ingénieuse, il est probable qu’il nous eût donné un tableau. Tel qu’il est pourtant, ce récit, malgré ses imperfections, qui frapperont tous les yeux attentifs, obtiendra la bienveillance et le sourire de ceux mêmes qui sont habitués à des lectures plus sérieuses. Je ne veux pas mettre en doute la moralité du narrateur, qui traite légèrement des péchés très peu véniels. Le ton de raillerie qui règne dans toutes les pages indique assez clairement qu’il ne prend pas parti pour son héros. Toutes les aventures qu’il raconte sont très gaiement racontées, et sa bonne humeur nous gagne. Il n’y a pas de lecteur morose qui ne se déride en écoutant Hadgi Stavros, philosophe pratique s’il en fut, qui saisit avec une admirable promptitude le côté utile de toutes les questions. C’est un coquin digne de la corde, mais un coquin spirituel, que le danger n’a jamais effrayé, qui trouverait un bon mot au pied de la potence, qui a fait du doute la loi souveraine, qui se défie de tous, et n’a foi qu’en lui-même. À tout prendre, malgré son effronterie, qui n’a pas de bornes, il n’excite jamais la colère. Chacun rend justice à son intelligence. Tant d’esprit dépensé pour faire le mal, sans élever Hadgi Stavros au rang des hommes de bien, lui assigne parmi les gens de son espèce une place à part. On sent que s’il voulait renoncer à son vilain métier, il jouerait sans peine un rôle important, et lutterait avec les hommes habiles et laborieux qui n’ont rien à redouter de la loi.