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égyptien, qui eut lieu sous son règne, est comme le dernier terme de ce long effort de l’Égypte pour pénétrer dans la civilisation européenne, effort dont l’origine se perd dans les âges antiques, et dont c’est peut-être l’occasion de tracer rapidement l’histoire.

Si haut qu’on remonte le passé, on trouve l’Égypte à l’horizon de la Grèce, comme un astre levé depuis longtemps et entouré de nuages, comme un vieux monde antédiluvien dont on a une vague tradition, et qui inspire un certain respect. L’Égypte était pour la Grèce ce qu’était pour les hommes du moyen-âge l’antiquité classique entrevue à travers la nuit des temps barbares et un peu ce qu’étaient pour eux les souvenirs bibliques. On croyait qu’il y avait eu aux bords du Nil une civilisation qui avait précédé la civilisation grecque et d’où elle était en partie venue, que là était l’origine des sciences et des arts. L’Égypte pour les Athéniens du temps de Platon, c’était l’antiquité ; c’était aussi l’Orient, berceau des mythes et des mystères. Jusqu’à quel point les Grecs s’exagéraient-ils ce qu’ils devaient à l’Égypte ? C’est ce qui n’est pas encore bien éclairci ; mais ils pensaient lui devoir beaucoup.

L’art grec et l’art égyptien se rencontrèrent avant qu’Alexandrie eût été fondée, et quand il n’y avait de grec en Égypte que la colonie de Naucratis ; déjà sous Nectanebo, un peu avant Alexandre, l’art hellénique avait atteint et modifié le vieil art égyptien, et Rome fournit de dette antique influence un curieux exemple dans deux lions de basalte[1], sur la base desquels on lit écrit en hiéroglyphes le nom du roi Nectanebo. Dans cette sculpture bien égyptienne, on sent déjà le souffle de l’art grec. La pose de ces lions est la pose raide et monumentale des lions à tête humaine de Louxsor ; la crinière est encore de convention, mais la vie est exprimée, les muscles sont accusés avec un soin et un relief que la sculpture purement égyptienne n’a pas connus.

Ce fut dans Alexandrie, ville égyptienne gouvernée par des rois grecs, ville grecque sur la terre d’Égypte, que se trouvèrent décidément en présence les deux civilisations et les deux arts. Les civilisations ne se mêlèrent point, ni les littératures. Les Égyptiens demeurent Égyptiens, et les Grecs, Grecs. Quoi qu’on en ait dit, en philosophie l’école d’Alexandrie est purement grecque, ou du moins très peu orientale. Théocrite et Callimaque ignorent la langue et l’écriture de l’Égypte, et les prêtres égyptiens continuent de tracer des hiéroglyphes sans se soucier qu’il y ait au monde un Homère ou un Hérodote ; mais dans l’art il n’en est pas tout à fait de même, et chose singulière, la présence de l’art grec, qui partout ailleurs,

  1. Ces lions ornaient la fontaine de l’Acqua Felice, sur la place dei Termini. On les a transportés dans le Musée-Grégorien.