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la moins intéressante faiblesse, car il était trop grand buveur. Du moins, voulant qu’elle ne nuisît à personne, il avait défendu d’exécuter les ordres qu’il donnerait après ses repas. Au reste, il n’y avait pas plus de ressemblance entre le génie de ces deux hommes qu’il n’y en a entre la tête en somme peu remarquable de Trajan et la tête héroïque du demi-dieu macédonien. Trajan, à ses faiblesses près, — l’amour du vin n’était pas la seule et la plus déplorable, et Pline a été mal inspiré quand il a vanté sa continence, — Trajan était un homme de la trempe de Washington, plus guerrier, parce qu’il avait été avant d’arriver à la puissance un général romain et non un planteur de Virginie. De même il repoussait par devoir les ennemis de son pays, car la guerre contre les populations qui menaçaient les frontières de l’empire était moins une guerre offensive qu’une défense anticipée. Seulement le métier lui plaisait, et il serait allé volontiers avec son air modeste et froid jusque dans l’Inde, s’il l’avait fallu. Washington, tout modéré qu’il était et ami de la paix, quand il vit, durant sa présidence, son pays menacé à la fois par l’Angleterre et par la France, tint tranquillement tête à la France et à l’Angleterre.

Sans doute, devant les images de Trajan, on regrette que ce modèle des empereurs n’ait pas un front plus vaste, un aspect plus imposant ; du moins ses traits respirent la candeur et l’honnêteté. Pour moi, je le retrouve mieux dans le plus médiocre de ses portraits que dans celui que Pline nous a laissé ; cette déclamation élégante et un peu recherchée va mal à la simplicité de celui qui en est l’objet. Pline peint mieux Trajan dans ses lettres que dans son panégyrique. Pline, qui a quitté sa belle maison de l’Esquilin pour aller remplir les fonctions de propréteur en Asie, consulte Trajan sur toutes les affaires qui lui semblent un peu difficiles. C’est dans cette occasion qu’il lui écrivit la fameuse lettre où il demande à l’empereur ce qu’il doit faire des chrétiens. La conclusion de Trajan, qu’il faut punir ceux qui s’obstinent dans la confession de leur foi, est selon moi de toute iniquité, elle est contraire à la liberté de penser et de manifester sa pensée : or à mes yeux cette liberté est la plus sacrée de toutes ; mais je ne puis nier qu’avec la manière de voir des Romains, non-seulement sous l’empire, mais même sous la république, cette iniquité ne fût inévitable. Les anciens ne s’étaient pas élevés à l’idée vraie de la liberté de l’individu. Leur liberté, c’était surtout le droit pour la cité de ne pas être opprimée. Seulement, si nous avons une idée supérieure de nos droits, ils savaient souvent mieux faire respecter les leurs. Trajan, ses principes romains admis, montra certainement dans cette affaire une grande modération d’esprit et un vrai désir de ne pas persécuter. On voit que ce qu’il redoutait surtout dans les chrétiens, c’étaient les membres d’une association.