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paroles dans l’oreille. Elle semblait attendre. — Christen, dis-lui que je l’aime…

Christen prit la parole. — Mein Freund hat sie sehr lieb.

La petite marchande de salade rougit plus fort que jamais.

— Elle ne répond rien ? demandai-je.

— Que veux-tu qu’elle réponde ?

— Lui as-tu bien dit que je l’aimais ?

— Certainement, en toutes lettres ?

— Dis-lui combien il est difficile de faire des déclarations à trois.

— Désires-tu que je m’en aille ? demanda Christen.

— Ne te formalise pas, mais avoue que ma position est gênante.

Mein Camarad…, dit Christen.

— Attends un peu ; tu ne me dis pas ce que tu traduis.

— Je suis à tes ordres, que faut-il dire ?

— Que je la prie de ne pas s’offenser du bouquet que je lui ai envoyé ce matin.

Christen prit la parole, et la demoiselle lui répondit en riant. Je jugeai ce rire d’un bon augure.

— Eh bien ! Christen ?

— La salade te remercie de ton amitié.

— Je ne veux pas qu’on l’appelle la salade, mais savoir son nom ?

— Elle s’appelle Gritti, dit Christen.

Ayant épuisé tous les moyens de conversation, je jugeai que la séance avait été pénible ; aussi bien la petite marchande jetait ses regards vers le haut de l’escalier.

Ich muss auf dem Mœrktt, dit-elle.

— Qu’est-ce, Christen ?

— Il faut qu’elle aille mettre en ordre son étalage, car le marché va finir.

— Adieu, mademoiselle, dis-je en lui serrant la main. — Christen, demande-lui quel jour on pourra la revoir.

— Au prochain marché, mardi prochain, me fit-elle répondre par mon ami.

Ce fut ainsi que nous remontâmes les escaliers, moi la conduisant par la main et légèrement effrayé du nouveau rendez-vous que je venais de prendre. Par la conversation qui s’était établie, je commençais à frémir des difficultés d’une aventure amoureuse en pays étranger. Ah ! s’il eût été question d’un amour sérieux tel qu’il s’en rencontre rarement dans la vie, je n’eusse pas hésité à recourir aux moyens les plus aventureux, même à me faire naturaliser citoyen bernois ; mais pour une petite marchande de salade que j’ai rencontrée sur le marché, qui m’a souri tout d’un coup comme un rayon de soleil le matin, était-ce vraiment la peine de se fatiguer l’esprit de complots