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dont les statistiques ont démontré une moyenne de production plus grande que chez les autres nations, ces vieillards plus ridés qu’ailleurs (sans doute par l’air vif des montagnes), cette analogie dans les gestes et dans l’expression de la physionomie, cet étonnement allemand peint sur toutes les figures, cet air ensommeillé sous lequel se cache une grande finesse, ces bras ballans en apparence, qui, à un moment donné, se prêtent mieux qu’ailleurs aux rudes travaux des champs, cette vieille ville et ces vieilles enseignes du moyen âge, ces ours de pierre habillés en chevaliers, ces galeries basses qui permettent de se promener dans presque tout Berne sans se mouiller, forment un aspect curieux pour un homme qui a peu quitté la France.

L’avantage de la France sur les autres nations, c’est l’extrême diversité des tempéramens ainsi que des facultés. On a dit que la France était une nation propre à s’assimiler les qualités des différens peuples, et, par les observations qu’il m’a été donné de contrôler, je crois la remarque juste. Ces absorptions n’ont sans doute pas peu contribué à la variété des physionomies. Voilà pourquoi la femme française est si variée, non-seulement au physique, mais au moral. De même qu’il y en a de brunes et de blondes, on peut retrouver chez la Parisienne les qualités de l’Italienne et les défauts des femmes du Nord. Au contraire, hors de France, et surtout en Suisse, je retrouve chez la femme une unité de type qui, étudiée d’un peu près, offre peut-être quelques variétés, mais qui au premier abord déconcerte l’étranger. J’ai regardé deux ou trois cents paysannes sur le marché, et je n’en ai vu pour ainsi dire qu’une seule, la même.

J’en étais là de mes réflexions, lorsque j’aperçus une petite marchande de salade qui sourit en me voyant passer. C’était une petite brune aux yeux noirs qui ressemblait à s’y méprendre à une grisette de la rue Saint-Denis. Comme je venais d’arborer le costume national des étudians de l’université, en achetant chez le chapelier en renom de Berne une petite casquette blanche à galon rouge, je crus d’abord que je ne portais pas assez cavalièrement ma coiffure de studiosus. Cependant le chapelier m’avait assuré qu’elle m’allait parfaitement, et j’étais sorti de sa boutique entièrement persuadé de l’élégance de cette casquette, qui mérite d’être décrite par la singulière position qu’elle occupait sur mon chef. Grimpée tout en haut du crâne, la casquette semblait aussi hardie que ces singes qui font des grimaces sur la bosse d’un chameau. Il m’était interdit d’affecter l’air sombre en l’enfonçant jusqu’à mi-oreilles, car ces casquettes, très droites, doivent se poser sur la tête sans la protéger contre les intempéries des saisons. L’œil seul est à demi couvert par une petite