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pédantisme à dépenser ! car la connaissance réciproque de nos livres n’était au fond qu’un moyen certain de conversation. Que dire d’une Histoire romaine écrite par un Suisse tout à fait inconnu ? Et même cette histoire, fût-elle composée par, un des universitaires les plus célèbres de France ou par l’Allemand le plus philosophe, m’amenait à la certitude d’une défaite complète ; mon esprit s’est peu tourné vers les grands citoyens de Rome, à peine pourrais-je me tenir dans de pompeuses admirations de ces grands caractères. Si encore ma voisine avait eu en main un grand médecin comme Zimmermann, un grand moraliste comme Lavater, un grand philosophe comme Bonnet, un grand malade comme Jean-Jacques, même un romancier comme Toppfer, il y a dans ces hommes des motifs de conversation pour une nuit ; mais cette absurde Histoire romaine me coupait la parole et jetait sur la jolie dormeuse un triste vernis d’enseignement qui me déplaisait.

Elle dormait toujours, ou elle feignait de dormir ; j’attendis avec impatience qu’elle voulût bien rouvrir ses yeux d’un bleu un peu pâle. C’est ce qui peut arriver de plus agréable dans un voyage qu’une liaison avec une femme du pays qu’on traverse : les musées, les palais, les cascades, les grottes, les montagnes, les précipices, peuvent intéresser un moment ; mais on ne connaît guère un pays, si l’on n’y a pas aimé un peu. La physionomie du pays vous reste bien mieux dans la tête après un petit amour ; si court qu’il soit. Oh ! Lina ! gentille Lina ! tu feras toujours d’Anvers la ville la plus séduisante de l’univers !

En venant de Strasbourg à Bâle, j’avais fait la connaissance d’un Hollandais très singulier qui voyageait pour son plaisir, et qui avait la rage des renseignemens poussés au plus haut degré. Tout ce qu’il voyait était écrit sur son carnet, il ne tarissait pas en questions, et chaque réponse était couchée sur le registre : les productions du pays que nous traversions, le foin, l’avoine, le colza, le tabac, il inscrivait tout, sans oublier ses dépenses. Il inscrivit aussi mon nom de Josquin, et ce qui le frappa le plus, quand je signai sur le registre de l’église de Bâle, fut qu’il avait écrit Gosquin ; aussitôt il corrigea cette erreur d’orthographe. Ce Hollandais aimait la littérature et m’étonna beaucoup en me récitant des vers d’Auguste Barbier. Jusque-là j’avais souri de son innocente manie de notes perpétuelles, lorsque nous visitâmes le musée de Bâle, C’est là une des grandes affaires, des voyageurs, le musée, la bibliothèque, la cathédrale, et quand on a jeté un coup d’œil sur les chefs-d’œuvre sortis de la main des hommes, on s’ennuie à mourir, il n’y a plus qu’à partir. On s’ennuie parce qu’on ne sait pas voyager : n’est-il pas plus intéressant de rôder par les rues détournées, loin du centre de la ville, et de regarder en l’air