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qu’avec une certaine barbarie, et les esprits non civilisés, les enfans, les sauvages, sont bien.plus vivement frappés par là brutalité des moyens que par les suaves finesses des grands, artistes ; les enfans ne peuvent être touchés que par la simplicité ; ainsi les sept couleurs du prisme leur paraîtront toujours plus belles que les couleurs composées ; c’est ce qui explique pourquoi quelques joujoux d’un sou, les moulins, les forgerons, l’homme à cheval, sortis de la fabrication de Notre-Dame-de-Liesse, sont presque des œuvres de génie à cause de leur effet infaillible sur certains sens des enfans. Le système de la coloration de ces joujoux est surtout remarquable par le choix des tons, jaune, rouge et vert, employés par les ouvriers. Les yeux de l’enfant ne sont pas élevés encore à saisir les complications de tons des grands maîtres : ils ne sentiraient pas les modulations si diverses qu’un peintre fait subir à la gamme des sept couleurs primitives. Au contraire l’enfant saisit vivement le jaune et le rouge, deux des couleurs les plus vivantes ; il les retient, il en meuble facilement son cerveau, et avec le blanc, et le noir, elles formeront désormais la base de ses idées de coloration.

Les paysans offrent par de certains côtés une grande ressemblance avec les enfans ; l’art, pour être compris des gens de la campagne, doit se produire sous un jour simple et naïf. C’est ce qui me fit penser aux joujoux ; de Notre-Dame-de-Liesse en regardant les peintures accrochées aux murs de l’église, de Fribourg. C’est le même procédé ; les peintures sont peut-être encore plus naïves que les joujoux.

Je ne saurais guère décrire les impressions produites par ces peintures, dont l’effet sur moi est toujours aussi puissant que si je n’avais pas étudié les principaux chefs-d’œuvre de toutes les écoles. Je suis heureux d’avoir conservé ces précieuses sensations d’enfance qui tombent une à une comme les feuilles à la fin de l’automne, et qui laissent l’homme aussi désolé que les troncs noirs et humides des arbres pendant l’hiver ; mais combien est distincte l’impression des joujoux de celle des ex-voto ! Les joujoux excitent une douce gaieté, tandis que ces peintures d’église, avec leur représentation des douleurs et des accidens de la vie, laissent après elles quelque chose de triste que mon esprit applique du reste à toutes les reliques.

Heureusement l’orgue faisait entendre un petit motif qui est plein de sérénité, une sorte de valse allemande dont le rhythme trouvera toujours un écho en moi. Tous ceux qui étaient dans l’église se levèrent, et je compris que la tâche de l’organiste était finie. Il n’avait pas joué l’orage, et je me félicitai d’avoir échappé à ce fameux morceau, de tradition depuis cent cinquante ans. Je sortis : mon hôte m’attendait sur la place ; je ne le trouvai pas trop maigri.