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acception du mot, il ne reprenait rien de ce qu’il avait une fois donné, et que l’on pouvait en toute sûreté se fier dans le commerce de la vie à son amitié, comme dans les affaires à sa parole. Mais c’est assez parler du caractère privé de M. Delaroche. Si nous insistions davantage sur ce point, nos hommages mêmes pourraient presque dégénérer en indiscrétions ; notre profonde gratitude envers l’homme ne doit pas nous laisser oublier que c’est surtout le talent de l’artiste qu’il convient d’honorer ici.

En esquissant l’histoire de ce talent, nous avons omis toute une série d’œuvres où il se manifeste pourtant avec une autorité égale à celle qui lui appartient ailleurs. Les nombreux portraits peints par M. Delaroche, les portraits plus nombreux encore qu’il a dessinés aux trois crayons, méritent au moins d’être mentionnés comme spécimens importans de son habileté ; seulement on ne saurait faire ressortir le mérite des travaux qu’il a laissés en ce genre sans répéter ce qui a déjà été dit à propos de ses autres travaux. Comme peintre de portrait, M. Delaroche est en effet tel qu’il nous apparaît comme peintre d’histoire. Cette finesse dans les intentions, cette adresse à s’emparer du fait au profit de la vérité morale, tout, jusqu’à ce goût de l’exactitude un peu minutieux parfois, se retrouve dans les ouvrages où il n’avait à retracer qu’une figure isolée aussi bien que dans la représentation des scènes compliquées. Ajoutons, comme un trait de ressemblance de plus, que les perfectionnemens successifs de sa manière, si sensibles lorsqu’on étudie ses tableaux, ne se montrent pas avec moins d’évidence lorsqu’on examine son œuvre de portraitiste. L’inégalité de mérite est déjà grande entre le portrait de M. de Pastorel peint en 1829 et le portrait de M. Guizot peint dix ans plus tard ; mais le progrès est plus marqué encore dans les toiles qui suivirent, dans les portraits entre autres de M. de Rémusat, de M. le duc de Noailles, de M. Pereire et de M. de Salvandy. Enfin, de même que les Girondins, achevés il y a quelques mois, peuvent être considérés comme le plus complet de ses tableaux d’histoire, le dernier portrait qu’ait signé M. Delaroche, — le portrait de M. Thiers, — est peut-être celui qui exprime le mieux ses qualités en ce genre spécial.

Ainsi, quels qu’aient pu être les thèmes proposés à ce talent,’quelques difficultés qu’il ait eu à vaincre, on le voit, à mesure qu’il avance en âge, se développer et s’affermir. Combien d’autres, brillans au début, se sont éteints avec la jeunesse ou dissipés en productions faciles, en fantaisies sans portée ! Combien d’artistes contemporains dont la vie se résumerait tout entière dans l’histoire de leurs premières années ! M. Delaroche est une noble exception à ces talens usés dès l’origine ou exploités au jour le jour. Il a connu le succès de bonne heure ; mais le succès n’a pas plus épuisé ses forces