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idée de Goethe, qu’il suffit à une pensée d’être exprimée musicalement pour être poétique, dont les sentimens pudiques et chastes s’enveloppent et se cachent sous des flots de douce harmonie. La liste ainsi sera complète. L’influence des trois grands poètes que nous avons nommés a été fort inégale : celle de lord Byron s’est heureusement arrêtée au monde qui pouvait la ressentir sans trop de dangers, et n’a guère agi que d’une manière indirecte ; celle de Wordsworth a été accidentelle ; la plus considérable des trois a été celle de Shelley, et il faut constater le fait à la louange des écrivains et des poètes de la Grande-Bretagne. Chez nous, l’influence de Byron, qui a été si puissante, l’aurait été bien davantage encore, s’il eût été notre compatriote. Les écrivains et les poètes anglais ont vite compris que ces chimères sataniques n’étaient point faites pour eux, et que ces déguisemens romanesques, convenables peut-être pour un Gordon, ne feraient que les affubler disgracieusement ; aussi n’y a-t-il pas trace dans les poètes anglais modernes d’imitation directe de Byron[1]. Pareille chose pour Wordsworth, dont l’influence a été fort restreinte, comme il convenait à un poète qui semble fait pour un tout petit monde, semi-ecclésiastique, semi-laïque. Dans Shelley au contraire, les écrivains trouvaient le type d’un poète dégagé de tout costume de caste et de secte, dont les sentimens ne tiraient leur noblesse que d’une source divine, dont les conceptions n’étaient dues à aucune méthode artificielle, bonne seulement pour celui qui l’emploie ; en un mot, ils trouvaient en lui ce qu’ils ne trouvaient pas dans Byron, ce qu’ils ne trouvaient qu’à demi dans Wordsworth : un confrère. C’est lui qui les a initiés à ces mystères d’Isis de la poésie qu’ils chantent aujourd’hui avec une si fiévreuse ardeur ; c’est lui qui leur a appris à se servir des formes matérielles comme de symboles, à attacher un sens moral à chaque apparence charnelle ; c’est lui qui leur a révélé l’hymen de la matière et de l’esprit. Il a été le hiérophante véritable de cette poésie qui considère toutes les formes de ce monde comme des signes visibles, des inductions d’après lesquelles on peut conclure à des réalités invisibles, des auxiliaires qui nous aident à épeler un langage spirituel ; de cette poésie qui, selon le mot expressif de mistress Browning, sait découvrir sur le visage d’un paysan italien attentivement étudié les traits de l’Antinous, comme on découvre une statue grecque quand on l’a dépouillée de la terre qui la souillait, et par derrière cet Antinous deviner et surprendre un ange caché. Ces enroulemens infinis de la beauté, ces échelles et ces hypostases

  1. Là où l’on retrouve le mieux l’écho direct, quoique bien affaibli et bien vulgarisé déjà, des sentimens byroniens, c’est dans les romans de Bulwer, et principalement dans ceux, de la première période.