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ont été le revêtement extérieur des conceptions poétiques, et Ont préservé la poésie de cette sorte d’isolement abstrait et de solitude lyrique dans lesquels se sont complu les poètes d’autres pays. Là encore, et pour la dernière fois, il y a eu un certain rapport, à la fois intime et familier, entre les poètes et la foule.

La séparation est bien plus marquée en Angleterre. Les poètes allemands exprimaient encore des pensées et des sentimens individuels, qui s’adressaient aux masses et qui étaient enveloppés d’un vêtement national. Les poètes anglais n’expriment plus que des sentimens individuels qui s’adressent à des individus ou a des fractions infinitésimales de la société, à des partis, à des sectes, que sais-je ? quelquefois même à de simples coteries littéraires. Le dernier mot de la poésie est dit sous trois formes différentes par trois grands poètes, Wordsworth, Byron et Shelley. Tous trois disent adieu à la société qui les environne, et se réfugient au sein de la nature ou dans la solitude de leur esprit.

Byron, mécontent de ce qu’il voit, et ne trouvant même pas autour de lui la corruption qu’il désire, se sépare d’une société dont il méprise également les vices et les vertus, imagine un monde romanesque qui n’a aucun rapport avec le monde réel, et le peuple de ses chimères et de ses rêves. Il n’exprime rien que ses désirs, ses imaginations et ses déceptions. Le résumé de tous ses chants, c’est que nous sommes putréfiés de civilisation, que nos libertés constitutionnelles ne valent pas les libertés de la nature, que nos droits politiques ne valent pas l’indépendance sauvage, que nos raffinemens les plus délicats ne valent pas les francs élans des instincts spontanés. Nous sommes embrouillés dans un écheveau inextricable de droits et de devoirs qui enlèvent toute beauté à nos actions ; nos vertus s’en ressentent, elles n’ont plus rien de désintéressé et de majestueux, elles portent un air cafard qui leur est commandé par les vices d’autrui, un air renfrogné d’officier de justice et de magistrat pédantesque ; quant à nos vices, rusés et mesquins, ils sont ce qu’ils doivent être dans une société encombrée de lois artificielles, de coutumes, détritus des siècles, de préjugés, conséquences d’une vie où ne se laissent jamais apercevoir l’égalité ou l’inégalité de la nature, mais bien une égalité et une inégalité de convention.

Nous périssons par trop de civilisation, la vie en est étouffée, — voilà le cri éternel de Byron. Wordsworth, plus calme et plus confiant dans les desseins de la divine Providence, refuse de croire que la poésie est morte à tout jamais. Que fait-il cependant ? Il se retire, lui aussi, de la société et s’en va dans la solitude chercher la poésie là où il croit qu’elle peut se trouver encore. Il entame avec la nature une conversation singulièrement intime et subtile, et fait subir