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avec tant de plaisir les grandeurs qu’il a faites, le libérateur des Gaules n’était plus que l’ancien manipulaire, un homme incapable et grossier, pour qui la puissance suprême n’avait été qu’une occasion de mener en grand la vie d’un goujat d’armée, un animal immonde qui passait sa vie dans l’ivresse, et changeait le palais des césars en un cabaret. On s’excitait mutuellement par des propos contre le chef qu’on s’était librement donné, et comme la Gaule ne pouvait plus s’en prendre à l’Italie de son administration actuelle, force lui fut de s’en prendre à elle-même. Arles, comme naguère Ravenne et Milan, se vit accusée, maudite par les provinces. « A quoi bon un gouvernement central ? disait-on de toutes parts ; chacun ne pouvait-il pas s’administrer à sa guise ? L’expérience prouvait que la métropole transalpine avait encore moins d’entrailles pour les provinces que la métropole italienne, puisqu’elle les voyait périr sous ses yeux sans daigner leur tendre la main. C’était aux provinces de pourvoir à leur propre salut. »

Cette manie de tout dissoudre, de tout briser à la moindre souffrance, de chercher toujours le remède dans l’aggravation du mal, avait son plus haut point d’exaltation dans l’île de Bretagne. Exempte des calamités qui donnaient à la Gaule le droit de se plaindre, la Bretagne se plaignit plus aigrement. La dernière entre toutes les provinces de l’empire gaulois qui eût dû attaquer ce gouvernement, puisqu’il était son ouvrage, elle fut la première à le renverser. On vit se renouveler dans les municipes bretons les tristes scènes dont ils avaient été le théâtre en 407 : le prétoire du Vicaire violé, les images de Constantin jetées dans la boue, les magistrats de l’empire gaulois destitués, poursuivis, assommés, comme l’avaient été trois ans auparavant ceux du gouvernement italien. On alla plus loin, car on ne voulut plus d’empereur. On crut qu’on se gouvernerait beaucoup mieux sans la Gaule comme sans l’Italie. Les curies des villes municipales, les conseils provinciaux devinrent des centres administratifs qui s’échelonnèrent et se lièrent les uns aux autres. Les anciens chefs nationaux qui s’étaient maintenus indépendans de la domination romaine dans les contrées montueuses de l’ouest reparurent à la tête de leurs clans : on se fédéra, et il se constitua une espèce de république aristocratique sous des chefs mi-partis indigènes purs, mi-partis britanno-romains. Quand l’île se fut ainsi organisée, elle déclara qu’elle se séparait du gouvernement de Rome, et ne reconnaissait plus d’autre pouvoir que celui qu’elle venait de se donner. Une députation fut nommée pour aller signifier cette déclaration au représentant de l’empire, et afin de donner à l’empereur des Gaules une marque suprême de son dédain, ce ne fut pas à lui, mais à Honorius que la Bretagne adressa le message. La députation qui le portait fit son entrée dans les murs de Ravenne à la fin de l’année 409