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des Gaulois, dont elle avait tant besoin, ne lui reprocherait-on point avec raison de sacrifier l’empire à un orgueil de famille ? Voilà ce que se dit vraisemblablement Honorius, et après s’être convaincu lui-même de générosité, il congédia les ambassadeurs avec un message verbal pour leur maître, dans lequel il en faisait pressentir un second, officiel et solennel cette fois, qui contiendrait la reconnaissance du tyran. Bientôt en effet un haut personnage de la cour de Ravenne se mit en route pour la Gaule chargé de la réponse favorable de l’empereur.

Les choses en étaient là, lorsqu’un matin les deux Espagnols furent trouvés morts dans leur prison, et l’on ne put douter, aux traces manifestes de violence, qu’ils n’eussent été victimes d’un assassinat. Qui en était coupable ? qui avait commis ce crime odieux contre des hommes sans défense ? L’histoire ne s’explique pas sur ce point, elle se borne à dire en termes généraux que Didyme et Vérinien furent tués dans leur prison ; mais nous essaierons de dissiper par quelques observations l’obscurité mystérieuse dont s’enveloppent les documens contemporains. Et d’abord est-ce Constantin qu’il faut accuser ? serait-il raisonnable d’attribuer au tyran des Gaules un meurtre qui venait compromettre des négociations commencées, qui tranchait peut-être à la racine toutes ses espérances ? Quand son intérêt évident était de conserver, au moins jusqu’à l’entière réalisation de ses vues, le gage qu’il avait entre les mains, par quelle aberration de calculs, par quelle folie de cruauté l’aurait-il fait disparaître ? On ne le comprend pas, et, en l’absence d’une affirmation de l’histoire, c’est une hypothèse qu’il faut absolument rejeter. Il est vrai que ses ennemis (et il en eut de cruels, comme on verra) élevèrent cette imputation contre lui ; mais il y répondit en protestant hautement de son innocence, soit en face d’Honorius, soit en face de la Gaule. Ajoutons que l’idée de traiter avec un homme de la vie de ses proches dans l’intention de les faire égorger ou étrangler dès qu’il aurait reçu le prix du marché, que cette idée abominable et honteuse ne s’accorde nullement avec ce que nous savons du caractère vaniteux, mais honnête de Constantin. Les argumens qui absolvent le père sont applicables au fils, dont le crime, s’il en eut un fut d’avoir mal gardé ses prisonniers. Mais, au défaut des deux tyrans, la pensée se reporte naturellement sur le maître des offices, à qui sa charge donnait l’intendance des prisons, et qui pouvait seul jouir d’un libre accès près de captifs de cette importance. Les mêmes considérations qui portaient le tyran des Gaules à les épargner purent conduire Rusticus à les perdre. En déjouant les projets de son maître et coupant la trame ourdie loin de lui et à son insu, mais dont il avait saisi les fils, le dur et fanatique Arverne crut peut-être servir la cause de l’empire gaulois. Aux yeux de ce politique cuirassé de raisons d’état, ce qu’il