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son sujet qu’au point de vue des traditions et des formes solennelles, et vous aurez, au lieu d’une page d’histoire de l’art vraisemblable, une de ces légendes académiques qui ne tournent pas plus à la gloire des héros représentés qu’à l’honneur de leur panégyriste. Le lot de M. Delaroche était en toutes choses de s’attacher au côté vrai et de le rendre avec finesse. En peignant sur les murs du Palais des Beaux-Arts une scène que le naturel vivifie, en nous montrant, non pas d’uniformes demi-dieux, mais des hommes qui gardent encore, jusque dans l’olympe où ils siègent, leur physionomie personnelle et les caractères de leur époque, le peintre des faits exacts, le narrateur bien renseigné des actions humaines est resté fidèle à sa mission. D’autres peut-être eussent réussi à donner à ce conciliabule de tous les grands maîtres une portée plus idéale : au point de vue où s’est placé M. Delaroche et dans les termes de sa poétique, nul mieux que lui ne se fût acquitté de la tâche.

L’Hémicycle du Palais des Beaux-Arts est la dernière œuvre que M. Delaroche ait rendue publique. À partir du jour où il l’eut terminée jusqu’au jour où il cessa de vivre, — c’est-à-dire pendant quinze années, — non-seulement il ne fit rien paraître aux expositions annuelles, mais il n’essaya même pas de recourir à cette demi-publicité, à ces exhibitions privées dont le succès a dédommagé quelquefois ceux qui, comme lui, se tenaient éloignés du Salon. Sauf un bien petit nombre d’hommes en possession dès longtemps de son amitié, personne ne vit plus ses ouvrages que de loin en loin et à la dérobée, pour ainsi dire. Et cependant la plupart des tableaux qu’il a produits dans cette dernière phase de sa vie n’avaient rien à redouter du grand jour. La réputation du peintre n’eût fait au contraire qu’y gagner, et l’on peut affirmer, sans exagération aucune, que son talent a pour le moins autant grandi durant ces quinze années que dans le cours des vingt années précédentes. Nous n’avons pas à insister ici sur des éloges auxquels manquerait tout moyen de contrôle et à parler avec détails de travaux qui n’appartiennent pas encore au public ; mais si, comme il y a lieu de l’espérer, ces œuvres inconnues jusqu’ici de la foule sont, dans un avenir prochain, mises en lumière, si les amis de M. Delaroche réussissent à organiser une exposition où l’on pourra suivre l’histoire complète et les progrès non interrompus de ce talent, nul doute que l’épreuve n’ait à quelques égards le caractère d’une révélation. Telle toile, le Moïse exposé par exemple, montrera quelle aisance dans l’exécution et, — qualité plus inattendue encore, — quelle limpidité de coloris avait acquises ce pinceau un peu timoré autrefois, un peu enclin à la lourdeur. Une œuvre pleine d’émotion, et la plus touchante peut-être qu’ait signée M. Delaroche, — une Jeune Martyre, dont le corps livré au Tibre flotte sous la douce lueur de l’auréole qui voltige autour de la tête,