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Pendant que les magistrats s’occupaient de lever cette énorme contribution de guerre sur les habitans, le manque de vivres commença à se faire sentir dans la cité, dont les troupes persanes interceptaient les communications avec la campagne, et Nadir-Shah, pour prévenir des désastres, ordonna d’ouvrir les greniers publics et de vendre les grains à un prix déterminé. Une foule immense se porta immédiatement dans les marchés, et surtout au bazar royal. Là, au milieu de la multitude, un soldat persan ayant tenté de s’emparer de quelques pigeons qui se trouvaient à l’étalage d’un marchand, ce dernier poussa un cri hideux, et s’écria d’une voix tonnante que Nadir-Shah avait ordonné à ses troupes de piller la cité. La populace, excitée par ces paroles, attaqua immédiatement les soldats persans, qui s’efforçaient de leur côté de protéger leur camarade. Des malveillans profitèrent de ce tumulte pour répandre le bruit que Nadir-Shah était mort, et que l’heure était venue de prendre une éclatante revanche sur les troupes persanes. Cette fausse nouvelle circula avec la rapidité de l’éclair, et les habitans, trompés, attaquèrent les soldats étrangers partout où ils purent les rencontrer. À la nuit, les Persans furent obligés de battre en retraite, après avoir perdu plus de deux mille hommes.

Ce fut vers minuit seulement que Nadir-Shah reçut la nouvelle de ces événemens. Immédiatement il se porta, à la tête de ses troupes, jusqu’à la mosquée de Roshin-ul-Dowlut, et là s’arrêta pour attendre le jour. Pendant cette halte, un Hindou caché derrière une terrasse ayant tué d’un coup de fusil un homme placé près du shah, la colère de ce dernier ne connut plus de bornes, et quoique le tumulte fût apaisé, il ordonna à la cavalerie de parcourir les rues, à l’infanterie de visiter les maisons, et de tuer sans pitié tous les habitans qu’ils rencontreraient. Cet ordre fut exécuté dans toute sa rigueur, et à deux heures de l’après midi plus de cinquante mille victimes étaient tombées sous le glaive ou les balles, sans que les massacreurs fussent arrivés au cœur de la cité. Telle était la terreur qui paralysait les pauvres habitans, que les hommes jetaient loin d’eux leurs armes, sans songer à défendre leur vie et celle de leurs femmes, et offraient comme des moutons la gorge au sabre des meurtriers. Plus d’un soldat persan mit en pièces une famille entière sans rencontrer la moindre résistance. Les Hindous, suivant leur coutume barbare, renfermaient dans les maisons leurs femmes, leurs enfans, leurs trésors, y mettaient le feu, et se précipitaient ensuite au milieu des flammes. Des milliers se noyèrent volontairement dans les puits. Quoique partout la mort se présentât sous son plus hideux aspect, les malheureux habitans semblaient plutôt la désirer que la craindre.