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avec une entière bonne foi ; mais une fois convaincu, il ne craignait pas plus de poursuivre sa tâche qu’il n’hésitait à la recommencer lorsqu’un juste mode de perfectionnement lui avait été ou suggéré ou spontanément révélé. En un mot, de quelque part que lui vinssent les conseils, il en discernait la valeur avec une clairvoyance singulière, et le moins qu’on puisse dire de ce qu’il tirait de lui et des autres, c’est que le tout était le fruit de comparaisons attentives, d’études profondément sincères. On ne saurait d’ailleurs trop insister sur la constance de ces efforts et sur ces exemples de haute probité. Assez d’artistes profitent de la notoriété qu’ils ont acquise pour débiter au jour le jour jusqu’aux plus chétives improvisations de leur pinceau ; assez de gens traitent l’art en spéculateurs et s’inquiètent moins des progrès de leur talent que du taux auquel il est coté. Il ne peut donc être inutile d’opposer à cette soif du gain les témoignages d’une ambition plus noble, et de montrer en regard de ces trafiquans de leur crédit un homme qui n’a consenti à vendre que ses œuvres sans s’abaisser jamais jusqu’à vendre son nom.

On pense bien qu’en entreprenant la décoration de l’Hémicycle, M. Delaroche devait être moins enclin que jamais à se départir de ses habitudes studieuses. Ici en effet les dimensions de l’œuvre, la simplicité de l’ordonnance avec des élémens très compliqués, l’élévation nécessaire du style, tout exigeait un redoublement de zèle et une ferme volonté d’approfondir les conditions nouvelles inhérentes à ce difficile sujet. Il fallait éviter d’autre part un écueil qui se présentait tout d’abord et louvoyer entre l’imitation formelle de certains types et l’indépendance absolue. Le moyen, en traitant un thème de cet ordre, de n’avoir pas présentes à la pensée l’École d’Athènes et l’Apothéose d’Homère ? Et cependant quel danger n’y eût-il pas eu à se souvenir un peu trop de pareils exemples ? M. Delaroche eut le bon goût de n’engager la lutte ni avec Raphaël, ni avec M. Ingres, sur le terrain appartenant en propre à chacun des deux maîtres. À quelques égards, il se fit leur disciple, et en cela il agit bien, mais il ne voulut pas plus descendre en face d’eux au rôle de copiste qu’il ne prétendit devenir leur rival. Il sut rester lui-même, là où il était si facile de se laisser dominer par des influences étrangères, et, — mérite bien rare chez les artistes, qui s’efforcent d’élargir leur manière, — il ne sacrifia pas les inclinations naturelles de son esprit à la recherche de qualités artificielles. Les progrès faits par M. Delaroche à l’École des Beaux-Arts, il les a accomplis, sous des formes incontestablement différentes, dans le sens ordinaire de ses facultés. Son œuvre, sérieuse sans être gourmée, élégante, mais non futile, résume à merveille les caractères de ce talent à la fois grave et spirituel. Condamnez le peintre de l’Hémicycle à s’interdire absolument les ressources dont il a disposé ailleurs, exigez de lui qu’il n’envisage