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Après quelques heures d’une course haletante, les fugitifs durent comprendre que les rebelles approchaient rapidement et les atteindraient sous peu. Levassoult, monté sur un bon cheval, eût pu fuir promptement en abandonnant sa femme ; mais son cœur se révolta à cette lâcheté, et il lui demanda si elle était toujours résolue à échapper par la mort aux indignités qui lui étaient réservées. La begum, pour toute réponse, montra à son mari un poignard qu’elle tenait d’une main ferme, et l’on continua de fuir, mais sans succès. Les vociférations des révoltés retentissaient à peu de distance ; les porteurs épuisés du palanquin ralentissaient leur course, lorsque de ses flancs dorés s’exhala un cri d’agonie, et les yeux terrifiés de Levassoult virent les mousselines dont le corps de sa femme était enveloppé se teindre de sang. Immédiatement le gentilhomme français saisit un pistolet à l’arçon de sa selle, et, l’appuyant à son crâne, se fit sauter la cervelle. Les soldats, qui arrivèrent aussitôt, insultèrent odieusement son cadavre. Quant à la begum, soit que la résolution lui eût manqué, soit que ses forces eussent trahi son courage, le poignard, en glissant sur les côtes, ne lui avait fait qu’une légère blessure, et elle fut ramenée en triomphe au camp par les soldats, qui l’accablèrent d’abord d’insultes, mais qui bientôt, par un de ces reviremens si fréquens dans les soulèvemens populaires et militaires, vinrent la prier de reprendre le commandement. Elle le conserva jusqu’en 1802, année où le gouvernement anglais lui garantit par traité la libre jouissance de ses propriétés. La vie active de la begum finit à cette époque, et elle ne fut plus occupée, pendant le reste de ses jours, qu’à dépenser ses immenses revenus en actes d’une générosité princière. Le fils de son premier mari laissa une fille qui fut mariée au colonel Dyce, et donna le jour à ce nabab indien dont les malheurs domestiques et les prodigalités ont longtemps défrayé la chronique scandaleuse de Londres et de Paris. Le palais de Sirdanah, où la begum exerça longtemps une hospitalité magnifique, et qui s’élève au milieu de vastes jardins, est maintenant dans un état complet d’abandon. Le riche mobilier qu’il renfermait a disparu en masse dans une vente publique, et il ne reste plus, pour orner les murailles de ces vastes salles désertes, qu’une collection assez bizarre de portraits où l’on remarque d’abord la begum en turban rouge, en robe de mousseline, le houkah à la bouche, avec un profil de polichinelle pain d’épice où le peintre assurément n’a pas fait acte de flatterie ; Dyce Sombre, au teint de lis et de rose, revêtu d’un uniforme d’attaché fort ressemblant ; enfin, au milieu d’une série d’habits rouges, les généraux Allard et Ventura, les derniers représentais de ces chevaliers d’aventure dont le courage et les talens militaires ont tenu longtemps en échec la course