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des lits de sangle et quelques pots de cuivre composent tout le mobilier ! Mais ce qui donne un cachet particulier aux rues de Lucknow, ce sont les noires beautés, ornées de leurs plus beaux atours, qui se pressent à chaque balcon, je pourrais dire à chaque fenêtre, et dont le plus chaste ne saurait méconnaître les philanthropiques intentions ; puis surtout des traits efféminés, de longues chevelures, des yeux qui voudraient être provoquans, et qui servent d’enseigne à un crime dont le nom ne s’écrit pas en Europe, et qui s’étale en plein soleil dans cette Sodome indienne.

On ne saurait quitter Lucknow sans visiter le palais de Constantia, construit par le général Martin, un de ces heureux aventuriers qui vinrent dans l’Inde lorsque le fameux arbre aux roupies portait encore toutes ses feuilles, — feuilles dont il sut récolter une abondante moisson. Quelques mots d’abord de cet heureux soldat de fortune. Le général Martin, fils d’un ouvrier, naquit à Lyon en 1732, et accompagna dans l’Inde, en qualité de simple soldat, le comte de Lally, gouverneur de Pondichéry. La sévérité de la discipline, quelques peccadilles, l’ambition peut-être, l’engagèrent à passer au service du gouvernement de Madras, où bientôt son intelligence de la profession des armes l’éleva au grade d’enseigne dans un bataillon composé de prisonniers français. Cette troupe ayant été envoyée dans le Bengale, Martin, habile ingénieur, fut désigné pour lever les plans des provinces nord-ouest. Pendant une résidence qu’il fit à Lucknow, il lia connaissance avec le nabab-vizir Sujah-u-Dowlut, et ce dernier, séduit par ses talens, demanda à la compagnie des Indes la permission de l’attacher à son service. Cette faveur obtenue, Martin fut mis à la tête du parc d’artillerie et des arsenaux du roi d’Oude, en conservant toutefois son rang de capitaine et ses droits à l’avancement dans l’armée du Bengale. Dans cette nouvelle position, l’aventurier lyonnais, appuyé sur l’amitié du vizir, exerça sur les affaires de l’état une toute puissante influence, qu’il sut tourner au profit de sa fortune. Ses appointemens élevés, son intervention dans le maniement des deniers publics, des spéculations commerciales qui ne furent pas toutes de bon aloi, s’il faut en croire la tradition, qui l’accuse d’avoir vendu à plusieurs reprises de fausses perles pour de vraies et du cristal au prix du diamant, lui permirent de réaliser une fortune de plus de 330,000 liv. st. Il atteignit en 1796, à l’ancienneté, le grade de major-général dans l’armée du Bengale, et mourut en 1800 de la pierre, maladie qui tourmenta les quinze dernières années de sa vie. Son testament, l’un des plus volumineux qui soit jamais sorti de la plume d’un testateur, révèle un homme à idées nobles et généreuses. Sans oublier sa famille, ses dernières volontés ont doté richement des établissemens d’éducation fondés à