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peuvent être considérés comme des hommes bien mis. La population du royaume d’Oude fournit cependant la plus grande majorité des cipayes de l’armée du Bengale, dont l’on peut voir des spécimens de la meilleure tenue à la porte de la résidence anglaise ; mais si le gouvernement régulier et le trésor bien rempli de l’honorable compagnie peuvent métamorphoser en soldats d’une allure tout européenne les hommes primitifs dont se recrutent ses légions, ce prodige dépasse la science politique des conseillers corrompus et ignorans qui dirigent les affaires du royaume d’Oude, et ses pauvres soldats, souvent en arrière de plusieurs années de paie, avant de penser à se couvrir le ventre, doivent exercer toute leur industrie pour arriver à le remplir.

Déguenillée comme elle l’est, l’armée n’est pas toutefois la partie la plus vicieuse de la chose publique dans le royaume d’Oude. La perception des impôts ne peut s’accomplir qu’avec l’aide de la force militaire ; toutes les routes sont infestées de scélérats de la pire espèce. Quelques jours seulement avant mon arrivée, on était parvenu à saisir un chef de voleurs connu sous le nom de Jaggernauth-Chuprassee, dont depuis plus de dix ans les crimes répandaient dans la contrée la terreur et la désolation. Ce monstre, qui avait commencé sa carrière par un fratricide, se livrait envers ses victimes à des cruautés qui dépassent l’imagination. Enterrer ses prisonniers vivans, leur remplir de poudre la barbe, les cheveux, les narines, les oreilles, et y mettre le feu, c’étaient les pratiques constantes et favorites de cette bête fauve. Quelques jours avant d’être arrêté, il avait coupé les index d’un captif et envoyé ce sanglant message à sa famille, en ajoutant qu’elle recevrait sa tête, si à un jour donné il ne lui avait pas été payé une rançon de 400 roupies, menace que son arrestation l’empêcha d’exécuter. Il est facile de comprendre qu’un pareil état de choses rende tout progrès impossible, et que les territoires d’Oude, les plus favorisés peut-être du continent indien, ne présentent partout que misère et désolation. L’autorité forte et respectée de l’honorable compagnie ne saurait attendre heureusement, pour faire triompher ici l’humanité et la civilisation, le jour où le dernier roi indépendant d’Oude aura pris place sous une de ces mosquées sépulcrales qu’il nous reste maintenant à visiter[1].

Les tombeaux des rois de Lucknow sont en grand nombre dans la ville, et quelques-uns fort dignes d’intérêt. Le tombeau d’Asuphuh-Dowlah, aïeul du roi Naseer-ul-Din, s’élève dans l’imambarah ou cathédrale,

  1. Nous devons faire remarquer que ces lignes étaient écrites avant le mois de décembre 1855, époque où lord Dalhousie termina sa longue et prospère vice-royauté en annexant les territoires d’Oude au domaine anglo-hindou. L’expérience a complètement justifié cette mesure, vivement critiquée aux premiers jours.