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renoncer à toute espérance de trouver vestige de l’enfant enlevé.

Six ans s’étaient écoulés sans que la mère, qui avait perdu son mari dans l’intervalle, eût entendu parler de son enfant. L’on était alors au mois de février 1849. Deux cipayes, venus en congé à la ville de Singramow, peu distante de Chuprah, quittèrent un beau matin leur domicile pour aller se promener sur les bords de la petite rivière qui traverse la ville. Assis au bord de l’eau, ils savouraient la brise du matin, lorsqu’ils virent, à leur grand étonnement, trois petits loups en compagnie d’un jeune garçon qui, sortis prudemment de la jungle, s’avancèrent vers la rivière, où ils commencèrent à étancher leur soif. Les cipayes, remis de leur première stupeur, se lancèrent à la poursuite de la petite troupe, et parvinrent à saisir l’enfant au moment où il s’introduisait dans un antre où les trois louveteaux l’avaient précédé. Il tenta d’abord de se défendre à coups de dents contre ses capteurs ; mais ces derniers l’amarrèrent solidement et l’amenèrent à leur logis, où pendant vingt jours ils le nourrirent de viande crue et de gibier. Trouvant alors les frais de table de leur hôte trop élevés, ils se décidèrent à le conduire au bazar de Kholepoor, où des personnes charitables avaient promis de se charger de son entretien.

Un cultivateur de Chuprah, qui vit le jeune garçon au bazar, raconta, à son retour dans le village, les détails de la capture des deux cipayes, et l’histoire arriva ainsi jusqu’à la veuve. Cette dernière ne perdit point de temps pour se rendre au bazar, et là reconnut sur le corps du jeune garçon, non-seulement la cicatrice au genou droit et celle des dents de la louve sur les reins, mais encore un signe à la cuisse avec lequel son fils était venu au monde. Convaincue de l’identité de la pauvre créature, elle la ramena avec elle au village, où tous ses voisins n’hésitèrent pas à la reconnaître pour son fils. Pendant plusieurs mois, la mère chercha par des soins assidus à ramener l’enfant à des habitudes humaines ; mais ses efforts ne furent couronnés d’aucun succès, si bien que, dégoûtée, elle se décida à l’abandonner à la charité publique. L’enfant fut alors recueilli par les domestiques de l’officier qui me racontait cette étrange histoire, et ceux-ci le traitaient comme ils eussent pu traiter un chien mal apprivoisé. Il vécut ainsi environ un an. Son corps exhalait une odeur sauvage fort désagréable ; ses coudes et ses genoux étaient endurcis comme de la corne, sans doute par suite de l’habitude de marcher à quatre pattes qu’il avait contractée au milieu des louveteaux ses compagnons d’enfance. Toutes les nuits, il se rendait dans les jungles voisines, et ne manquait jamais de prendre sa part des charognes qu’il pouvait rencontrer sur son chemin. Il marchait généralement sur ses deux jambes, mais prenait sa nourriture à quatre pattes