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notre avis, est la seule critique qu’un voyageur qui comprend ses devoirs puisse se permettre contre ceux dont il a mangé le sel, suivant la métaphore orientale. D’ailleurs les touristes atrabilaires sont une espèce trop commune parmi la gent voyageuse pour que nous soyons très soucieux de grossir leurs rangs et de refaire ces tableaux d’abominations et de désolations que des misses puritaines ou des John Bulls renforcés ont donnés comme la plus fidèle expression des Anglo-Indiens peints par eux-mêmes. C’est là en effet un des caractères les plus étranges de nos voisins d’outre-mer que cette impitoyable énergie avec laquelle ils portent le scalpel au plus profond des viscères de la famille anglaise ; amour de la vérité, disent les uns ; habitude d’oiseau mal élevé qui ne respecte pas son propre nid, disent les autres. Sans prononcer entre ces deux opinions, également fondées peut-être, nous croyons n’être que vrai en disant que la communauté anglo-indienne des bords du Gange n’est ni plus mauvaise ni meilleure que son aînée des côtes de la Manche, et que l’adultère, les orgies, les transactions scandaleuses n’y sont pas plus à l’ordre du jour qu’ils ne le sont à Londres ou à Paris. Si le vice brutal de l’ivrognerie y est plus répandu qu’en Europe, il faut aussi faire la part des ardeurs du climat, des ennuis de la vie même dans les plus grands centres, où les jours se suivent et se ressemblent avec une désespérante monotonie. Nous n’hésitons donc pas à le dire, certains récits de voyageurs anglais, anglais surtout, ont étrangement calomnié la société des exilés des trois présidences. Immoralité commerciale de l’Inde, si attaquée, vaut même beaucoup mieux que sa réputation, et dans les catastrophes récentes où ont péri tant d’intérêts respectables, l’entraînement des spéculations a eu beaucoup plus de part que la fraude, à n’en juger que par l’événement et le petit nombre de fortunes impures faites dans ces désastres. Il est au reste un caractère distinctif de la société anglo-indienne, c’est la libéralité avec laquelle elle répond à tous les appels faits à sa générosité. Du cap Comorin au pied de l’Himalaya, toutes les bourses s’ouvrent à l’envi avec une prodigalité sans bornes devant une idée généreuse, une infortune respectable : c’est là un trait saillant de la famille européenne de l’Inde, que ses détracteurs les plus acharnés ne sauraient lui refuser sans nier l’évidence ; et que nous aimons à signaler comme le, meilleur complément de nos observations.


II. – BENARES.

D’excellens wagons, qui ne le cèdent en rien pour les comforts et l’élégance aux voitures les mieux entendues des chemins de fer de