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et par cela même mieux appropriés aux instincts et à l’ambition de chacun. Telle fut au moins la règle de conduite que s’imposa M. Delaroche pendant son séjour en Italie. Au lieu de copier les » œuvres de, Raphaël ou de Léonard, il voulut remonter aux sources où ces grands maîtres avaient puisé et interroger à son tour les premiers monumens de la peinture religieuse, à peu près comme un écrivain qui, pour former son style, étudierait les origines de la langue avec plus de zèle encore que la littérature des beaux siècles.

M. Delaroche consulta donc à fond, et le crayon à la main, les fresques des trecentisti qui ornent les églises de Florence et des autres villes de la Toscane ; puis, accompagné de deux de ses amis et d’un de ses élèves, il se retira pour peindre les esquisses de ses compositions dans le couvent de Gamaldoli, monastère situé au sommet de l’Apennin, et par conséquent rarement visité. Quelques jours après, M. Ampère, qui accomplissait alors ce voyage dantesque dont la Revue a publié le récit[1], venait se renseigner aux mêmes lieux. Jamais peut-être le sacro eremo di Camaldoli n’avait reçu des hôtes si nombreux. En tout cas, c’était la première fois que les cellules du couvent se convertissaient en ateliers et que ses murs abritaient des travaux que la publicité attendait à Paris. Je me trompe : ces travaux auxquels M. Delaroche se livrait alors et qu’il allait pendant près d’une année encore continuer à Rome, ces études poursuivies avec l’ardeur d’un talent qui se sent en progrès, tout cela devait rester stérile et s’ensevelir dans l’obscurité[2].

On se rappelle dans quelles circonstances M. Delaroche renonça à ses projets de décoration pour l’église de la Madeleine. Une mesure prise par l’administration l’ayant dépossédé d’une partie de la tâche qu’il croyait confiée, tout entière à son pinceau, il s’éleva vivement contre ce partage, et s’empressa de rendre, avec le travail auquel il avait consacré deux années déjà, une somme considérable reçue pour prix de ses études préparatoires. Peut-être, il faut le dire, la décision ministérielle n’était-elle que le résultat d’un malentendu ; peut-être les droits de M. Delaroche avaient-ils été involontairement méconnus. Quoi qu’il en soit, il y allait pour lui de sa dignité d’artiste, et il n’était pas homme à en faire bon marché. Dans une occasion précédente, vers la fin de la restauration, il avait mieux aimé voir son nom rayé de la liste des peintres employés par

  1. Voyez les livraisons du 15 novembre et 15 décembre 1839.
  2. Sauf quelques têtes peintes d’après les religieux camaldules qui lui avaient donné l’hospitalité, rien de ce que M. Delaroche a produit pendant son voyage en Italie n’a vu le jour jusqu’ici. Ces portraits de camaldules, exécutés avec une rare finesse, appartenaient à M. le comte de Feltre, qui les a légués au musée de Nantes, où ils se trouvent aujourd’hui.