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grand service, car à peine avait-il disparu sous les hautes herbes, que nous l’entendîmes pousser des cris désastreux assez semblables à ceux d’un lièvre à l’agonie. Le pauvre diable de cochon, dans sa fuite, venait de tomber sous les griffes du tigre. La chose ne lui souriait que médiocrement, à en juger par ses cris frénétiques. Les chasseurs suivaient tous les détails de cette scène avec une haletante curiosité, lorsque les éléphans firent entendre un cri d’alarme dont je ne saurais donner une meilleure idée qu’en le comparant au sifflet d’une machine à vapeur lorsque l’eau gazéfiée s’en échappe ; ils battirent ensuite le sol de leur trompe, qu’ils replièrent soigneusement au-dessus de leurs têtes. Ces préparatifs de combat suggérés par l’instinct naturel à nos montures étaient des indices certains du voisinage de l’ennemi. Ce fut un moment solennel, un moment d’émotion que je me rappellerai toute ma vie. J’étais à l’extrême gauche dans un howdah, porté par le Rosier-Fleuri, en compagnie de mon ami le capitaine J… Une première fois je vis couler sous l’épais branchage des palmiers quelque chose de fauve, mais prudemment je gardai mon feu. La fortune me récompensa de ce sang-froid en me montrant le tigre, à la plus belle portée, dans une clairière, qui se retirait au petit pas devant la ligne des chasseurs. J’eus le premier feu, mon ami J… le second. Après avoir essuyé ce premier salut, le tigre fit environ cent pas de retraite, puis, prenant un parti héroïque, s’élança sur la ligne des éléphans, majestueux, l’œil en feu, le poil hérissé, et poussant une série de rugissemens auprès desquels la valse infernale de Robert le Diable n’est bien décidément que de la petite musique. La brave bête s’avança ainsi jusqu’à dix pas de notre centre au milieu d’une volée de balles et des cris enthousiastes des chasseurs. Là, sans doute frappé à mort, le tigre se détourna de sa course, et franchit la ligne entre les deux éléphans de l’extrême droite. J’étais tellement saisi d’admiration, d’admiration c’est le mot, que pendant cette dernière phase du combat je ne pensai point à y prendre une part active, et, spectateur immobile, dévorai du regard tous les détails de cette noble lutte de l’homme aux prises avec la nature sauvage : wheel on the right forwards, cria une voix retentissante, commandement qui fut exécuté au milieu d’un immense hurrah britannique. À quinze pas environ du lieu de notre changement de front, le tigre, étendu sur le flanc droit dans une clairière, rendait le dernier soupir sans grands efforts. Quoiqu’il eût reçu sept balles, pas une goutte de sang ne souillait sa peau. C’était une tigresse de trois ans, a maid, à ce que m’assura un vieil amateur ; elle mesurait huit pieds trois quarts du museau à l’extrémité de la queue.

Il est temps de rentrer intra muros, et de dire quelques mots du