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et des perroquets d’écorce d’arbre, des nénuphars de papier fort ressemblans, qui se balançaient en manière d’épées de Damoclès au-dessus de l’assemblée. Trois palais miniature, avec parc, jardin de plaisance, ménagerie et habitans, s’élevaient en évidence, comme morceaux de choix, sur une estrade, et une illumination a giorno faisait ressortir les traits distinctifs de ces chefs-d’œuvre de l’art allemand : allées de sciure de bois, cascades de verre, arbres de mousseline. Quelques symphonies exécutées par des artistes pleins de bonnes intentions ouvrirent la fête, et servirent d’introduction au nautch, ou danse des bayadères. Quoique j’eusse peu d’illusions sur la chorégraphie native, la maussaderie de ce spectacle dépassa et au-delà mes préventions. Le chant monotone, la musique dolente, qui accompagnent le tournoiement incessant de la danseuse, dont les mouvemens ne manquent pas toutefois de grâce et de laisser-aller, composent un ballet plein de couleur locale sans doute, mais qui ne me semble pas offrir d’autre attrait… Voilà pour l’art. Quant à la femme, la bayadère, avec ses cheveux glacés d’huile de coco, ses dents pourries par l’usage du bétel, ses mains peintes de henné, ne réalise pas, à mon avis, un type de beauté bien désirable. Et puis,… et puis,… à quinze jours de distance, vous retrouvez, plus débile, plus infirme, plus mélancolique à voir que ce pauvre comte de la triste figure dont les précoces rhumatismes effraient le spectateur au second acte de Lucrèce Borgia, un ami que vous avez laissé dans la plus luxuriante santé… Et ce n’est pas pour avoir soupe à la vigne du saint père, si je puis emprunter sa phrase à M. Victor Hugo.

Des rafraîchissemens choisis, un souper fort bien servi, avaient été préparés par les soins de l’amphitryon, et nous eûmes la preuve que l’on faisait honneur à son Champagne. Au plus beau de la danse des bayadères, des hurrahs frénétiques, partis de la salle aux rafraîchissemens, vinrent ébranler les murailles de la maison, et nous apprîmes bientôt que ces acclamations saluaient un toast porté par de loyaux Américains au président Fillmore, à mistress Fillmore et à tous les petits Fillmore. — And God bless them ! cria une voix retentissante habituée à dominer le mugissement des flots. Tout peu républicain que je suis, je puis affirmer que je m’associai à cette patriotique et bruyante invocation.

Il est temps de dire quelques mots de la société européenne de Calcutta, et comme transition je saisis au vol ce dialogue, qui se tient en ce moment entre deux Anglo-Indiens, s’est tenu il y a cinq minutes, se tiendra dans cinq minutes encore : No gaieties going on. — None. — What stupid place is Calcutta ? — The most stupid place in the world. Pour ne pas décider à la légère, j’ajouterai, en preuve à l’appui de ce sévère jugement, la liste des plaisirs publics de la