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sans certificat valable, sans recommandation d’aucune sorte, comme l’on prend les domestiques dans l’Inde, l’on devrait certainement, en fin d’année, décerner le prix de moralité à la peau noire et non pas à la peau blanche. Cette probité relative des serviteurs indiens, que je me plais à constater, ne prend pas sa source, sauf de bien rares exceptions, dans des sentimens de reconnaissance pour le maître dont ils mangent le sel, mais bien dans la crainte du châtiment légal. La reconnaissance est un sentiment étranger à l’immense majorité de la race asiatique. D’ailleurs les relations de maître à domestique, telles qu’elles existent dans l’Inde, ne sont pas faites pour inspirer à ces derniers l’affection et le dévouement. Les rapports du maître avec ses serviteurs ne sortent jamais des limites de leur service : vous ignorez même où demeurent des hommes à vos gages depuis des années. Arrivés le matin, ils vous quittent le soir sans que vous sachiez ni d’où ils sont venus ni où ils vont, car il y a entre l’Européen et l’Hindou une muraille plus que chinoise, que des relations de tous les jours, même pendant des années, ne sauraient franchir. Dussiez-vous rester vingt ans dans l’Inde, ce que je ne vous souhaite pas, ami lecteur, vous ne verrez jamais de l’Indien que l’écorce, ce que l’on en voit dans les rues, et rien au-del à La chose ne manque pas d’originalité à certains jours.

Aux fêtes, par exemple, de la Churuck Poojah, déesse d’assez mauvais renom, qui se célèbrent dans le mois de chaitrac, le dernier mois de l’année hindoue, fin mars et mi-partie avril, du matin au soir et du soir au matin les roulemens du tambour, les éclats des tam-tam, les sons discordans des clarinettes, le bruit confus, de mille voix humaines, annoncent les processions étranges qui sillonnent incessamment les rues. En tête de la bande, des tambours empanachés de plumes d’autruche, des fifres, des violes à corps de citrouille, tous ces instrumens malfaisans dont la sauvage harmonie poursuit vos oreilles jusque dans les retraites les plus profondes. Vient ensuite un cortège de personnages fantastiques dont le crayon le plus extravagant ne saurait donner qu’une faible idée, et au milieu duquel s’avancent les sannyassis, héros de la fête dignes à tous égards de ce bizarre entourage. Celui-ci s’est passé au travers du bras une longue pique, de la bouche de cet autre sort une énorme langue toute plantée d’aiguilles ; en voici un troisième dont le dos est lardé de flèches ni plus ni moins que l’est de lard l’estomac d’une poularde à la financière. Ce ne sont là toutefois que des épreuves préliminaires, le petit jeu en attendant le grand, réservé pour le dernier jour de la fête. À ce jour-là, le sannyassi mérite définitivement les bonnes grâces de la divinité en se faisant accrocher par le dos à une sorte de potence, et en planant ainsi suspendu au-dessus d’une