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dans le public n’eût songé sans doute à contester l’opportunité de sa domination. Depuis l’apparition du tableau des Horaces jusqu’au moment où fut exposé le Léonidas, chacun avait cru de la meilleure foi du monde reconnaître ses propres aspirations formulées dans les œuvres du maître, et cependant on ne faisait alors que subir l’ascendant de cette forte volonté, l’autorité de ce talent que l’on respectait comme un dogme, et qui n’était au fond que l’expression de la foi d’un seul. Que David soit venu à propos et dans un milieu favorablement préparé pour sa gloire, cela est certain ; mais ne saurait-on dire que le long empire exercé par lui fut en grande partie le résultat d’une surprise, et que sa doctrine, si bien appropriée qu’elle parût aux mœurs du moment, contrariait en réalité l’instinct national et les coutumes de l’art français ? Aussi quel empressement à secouer le joug dès que le maître n’est plus là pour le maintenir ! quelle violence dans la réaction, et quels excès d’indépendance après ce régime tyrannique ! C’en est fait désormais de la soumission de l’école comme du despotisme des chefs. Aucun de ceux-ci ne réussira à régenter pleinement l’opinion, à la façonner suivant ses propres principes, et ce qui prouve combien l’intimidation en pareil cas est devenue une arme insuffisante, c’est que les deux talens les plus radicaux qui aient paru depuis David n’ont pu, l’un en dépit de son élévation soutenue, l’autre malgré sa fécondité et son éclat, réduire les résistances de la foule.

M. Ingres, aux yeux de la partie la plus éclairée du public, occupe la première place dans l’école française contemporaine ; mais l’art tel qu’il le comprend et le pratique semble un peu dépaysé au milieu de nous. Que les œuvres de M. Ingres soient empreintes d’une beauté impérissable, qu’elles révèlent l’imagination et la main d’un grand maître, rien de plus vrai : est-ce à dire toutefois que ce maître s’inspire des idées modernes, que ces œuvres soient en rapport exact avec nos besoins et nos goûts ? Chez le peintre de l’Apothéose d’Homère, de Saint Symphorien et de tant d’autres sujets conçus et exécutés avec une intraitable rigueur de pensée et de style, on dirait au contraire que le génie s’excite de la haine contre le présent. De là l’incomplet assentiment, quelquefois même l’opposition formelle, que rencontre parmi nous la manière de M. Ingres. Les uns ne voient dans cette manière hautaine qu’un démenti à de légitimes aspirations ; d’autres, mieux avisés sans doute, l’admirent comme une protestation avant tout éloquente. Amis ou ennemis, tous s’accordent sur ce point qu’elle n’a de raison d’être aujourd’hui qu’à titre d’évocation du passé. Qu’il nous soit permis de constater le fait, sauf à réserver nos propres sympathies : ce n’est pas d’ailleurs outrager la gloire du plus savant peintre de notre âge que d’indiquer, en regard