Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une pareille scène ? Que si l’on s’en tient à notre école et à notre époque, où trouver un peintre dont le talent s’approprie mieux, aussi bien même, à toutes les conditions imposées ici par le sujet ? M. Ingres traitera plus noblement que personne un thème antique dans un cadre restreint, Antiochus et Slratonice par exemple ; M. Delacroix donnera à son petit tableau d’Hamlet l’empreinte de la passion et d’un sentiment profondément poétique ; MM. Decamps et Vernet peindront à souhait, celui-ci la Barrière de Clichy, celui-là Samson ou Joseph : aucun de ces éminens artistes, en dépit de ses qualités ou plutôt en vertu de ces qualités mêmes, ne réussira comme a réussi M. Delaroche dans une œuvre moitié drame, moitié tableau de genre. Suit-il de là que le peintre du duc de G uise l’emporte sur tous les autres maîtres contemporains ? Ce que nous venons de dire ne tend pas à cette conclusion. Nous ne voulons qu’établir un fait : c’est que M. Delaroche, talent tout éclectique en apparence, a eu son genre d’excellence, son originalité propre, et que les œuvres mêmes de ses plus dangereux rivaux laissent aux siennes leur physionomie d’élite et leur entière valeur. Or quels sont les signes distinctifs de cette physionomie ? quelle part faut-il faire dans l’histoire de l’art contemporain, non pas seulement à l’auteur du duc de Guise, mais au peintre dont ce dernier tableau ne faisait que confirmer les succès précédens et la réputation déjà ancienne ? Si l’on jette un coup-d’œil sur la situation de l’école avant la seconde moitié du siècle et sur les travaux des artistes qui aujourd’hui encore se partagent le pouvoir, on n’aura pas de peine à résoudre ces questions.

Sans nier jamais le talent de M. Delaroche, en lui a reproché néanmoins, — et cela il y a vingt-cinq ans comme depuis lors, — de ne représenter dans l’art que des qualités en quelque façon négatives. L’artiste, disait-on, qui n’est expressément ni grand dessinateur, ni grand coloriste, qui n’a pour principe que le culte de toutes les légalités pittoresques, pour muse que la convenance, un tel homme ne saurait prétendre à une influence fort puissante sur l’école et les idées de son temps. Il y a deux manières pourtant d’acquérir cette influence. On peut ou s’emparer de l’opinion à force ouverte et régner sur elle par droit de conquête, ou se pénétrer si bien de l’esprit et des besoins actuels, qu’on arrive à résumer en soi les tendances de tous. Reste à savoir, si, au point où nous sommes, le second moyen n’est pas le plus efficace, et si le succès n’appartient pas aux intelligences persuadées par ce qui les entoure plus sûrement encore qu’aux intelligences résolues à ne prendre conseil que d’elles-mêmes. David, comme autrefois Lebrun, avait su imposer ses inclinations personnelles et les habitudes de sa pensée à toute une époque. Lui régnant, personne parmi les artistes comme