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l’intelligence, est une pure utopie. Dès qu’on adopte le principe matériel et fortuit de la naissance, il faut y ajouter l’autre principe matériel de la richesse transmise avec la naissance : ces deux choses se tiennent en politique, et dès-lors on renonce à la prédominance du principe moral, qui élève la personne plutôt que la race, et la race seulement autant qu’elle transmet la valeur personnelle.

Il y avait donc de l’incohérence dans la loi toscane, chose d’ailleurs fort commune dans les lois qui expriment les transitions sociales. Elle admettait une autre contradiction encore en établissant une espèce de privilège intermédiaire et bourgeois, car elle accordait à un certain nombre de familles florentines et siennoises le droit exclusif de siéger dans les magistratures inférieures. Il faut voir sans doute dans tout cela la part des expédiens et des nécessités du moment. Quoi qu’il en soit, dans tout cet ensemble de mesures relatives aux abus féodaux et à la constitution d’une noblesse transformée et régénérée, on ne peut méconnaître un esprit élevé de réformes progressives, qui justifia, tout d’abord la haute position où la maison de Lorraine venait de parvenir. Il n’y avait rien de nouveau dans ces idées, mais il était nouveau d’en essayer la pratique par raison, dans la vue pure et désintéressée du plus grand bien pour un petit état fort soumis, tandis que partout ailleurs les améliorations, s’il s’en faisait, ne procédaient guère que des besoins administratifs, de la crainte des catastrophes, de l’envahissement réciproque des pouvoirs ou des jalousies ministérielles. On y reconnaît Une initiative bienveillante et pleine de mesure, avec une sagesse calme et ferme, qui semble regarder au loin dans l’avenir, et y voir que de grandes choses approchent, auxquelles il est urgent de se bien préparer.

Néanmoins dans la réforme des abus longtemps accumulés il est rare qu’on arrive à temps pour tout résoudre par les sages tempéramens de la loi. Des droits acquis, des obligations contractées sous l’empire de la législation qu’on veut détruire, entravent et ajournent les résultats, et les révolutions viennent trancher les nœuds qu’on n’a point défaits assez vite. L’abolition des substitutions de biens ruraux n’avait point encore, en 1789, libéré toutes les terres ; Léopold, animé du même esprit que son père François, souffrait impatiemment ces liens qui enchaînaient les progrès agricoles, mais, il ne pouvait les rompre. Ce fut l’introduction du code civil français qui força les obstacles et rendit toutes les terres à la liberté des contrats. Il en fut de même de la législation féodale. Léopold travailla à détruire les derniers restes du pouvoir des seigneurs ; plusieurs fiefs furent supprimés d’un commun accord ; la juridiction des vicaires féodaux, institués par François, fut encore resserrée ; les taxes sur les vassaux furent diminuées ; ceux-ci purent citer devant les tribunaux royaux