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sous une morne somnolence, vivront dès-lors engourdis dans leur nullité comme des buffles ruminans dans les flaques stagnantes des Marais-Pontins… Nos honteux descendans céderont à la vigoureuse nature l’universelle domination de la terre, et la créature humaine ne sera plus devant elle un maître, mais seulement un hôte, comme les habitans des forêts et des eaux. »

J’ai cité textuellement, pour ne pas être accusé de forcer les idées de l’écrivain. On voit quel avenir il prédit à Inhumanité. Sans trop faire les glorieux, nous pouvons espérer autre chose. Nos ancêtres, Aryans ou Germains, étaient bien autrement que nous soumis à la nature. On n’est pas près de se laisser écraser par elle quand on vient d’inventer les steamers, les locomotives, les télégraphes électriques, les agens anesthésiques, c’est-à-dire quand on est parvenu à anéantir les distances, à se passer du temps, à supprimer la douleur.

Heureusement ce misérable état ne sera pas de longue durée. À en croire l’auteur de Y Essai, un des effets du mélange des races est de réduire les populations à un chiffre de plus en plus petit. Si Babylone et Ninive sont aujourd’hui désertes, la cause en est avant tout aux croisemens. Ainsi l’humanité se dégrade et s’efface dans la même proportion. On peut donc prévoir quand elle finira. Or la famille aryane elle-même était profondément altérée au commencement de notre ère. Six ou sept mille ans avaient suffi pour flétrir dans son essence cet élément indispensable à toute société, pour semer en tout lieu des germes de décrépitude. La fusion si largement commencée se continue depuis dix-huit siècles. Aujourd’hui elle s’est créé des moyens d’action bien autrement puissans que par le passé, et l’amalgame complet de toutes les races mettra certainement à s’accomplir moins de temps qu’il n’en a mis à se préparer. Alors l’espèce, entièrement souillée et par cela même frappée de stérilité, disparaîtra de ce monde. Ainsi l’existence de l’homme aura présenté une durée d’environ douze à quatorze mille ans, partagée en deux périodes : la première, qui est passée, a vu la jeunesse, la vigueur, la grandeur de l’humanité ; la seconde, déjà commencée, en verra la défaillance, la décrépitude et la fin.

Telle est la conclusion du livre que j’examine. Je n’ai pas besoin de dire qu’ayant combattu les prémisses, je ne saurais adopter les conséquences. L’humanité a commencé, elle finira, je ne le mets pas en doute ; mais rien dans son passé n’autorise encore une science quelconque à former même une simple conjecture sur l’époque et le mode de cette extinction. Les chiffres que j’ai cités plus haut, et que j’aurais pu multiplier aisément, prouvent que les métis des races les plus éloignées, ceux du blanc et du noir, du blanc et du rouge, se multiplient rapidement, alors même que le préjugé et les mœurs s’opposent à la formation d’une race mixte.