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au dedans, de la domination au dehors, et qui chassa bientôt avec ses rois l’aristocratie lucumone, c’est-à-dire le seul élément de progrès qu’elle possédât, si l’on admet les idées que nous discutons.

Cette perte de ses citoyens blancs les plus purs arrête-t-elle un instant Rome naissante ? L’histoire est là pour répondre. Le Latium d’abord, les Lucumons ensuite, puis l’Italie entière, y compris les Galls de l’Ombrie, tombent tour à tour sous sa loi. La Rome étrusque est devenue la Rome italiote. — M. de Gobineau trouve ces progrès tout simples ! Avec sa théorie, ils sont au contraire inexplicables. Puisque la population romaine était le résultat du croisement de toutes ces races, puisqu’elle n’avait reçu aucun élément particulier propre à la relever, elle était ethniquement moins pure que chacune des nations qu’elle attaquait. Or nous voyons cette population, de plus en plus mélangée, acquérir chaque jour des forces nouvelles, devenir irrésistible, et quand elle se mesure avec les fils des Roxolans eux-mêmes, avec ces Germains placés si haut dans l’esprit de l’auteur, c’est encore elle qui l’emporte. — Le croisement a-t-il eu ici de bons ou de mauvais résultats ? a-t-il produit une race supérieure ou inférieure ? Je laisse le lecteur lui-même répondre à ces questions.

La force d’expansion régulière et contenue, la puissance d’assimilation ne sont-elles pas les caractères d’une race profondément énergique et d’une civilisation puissante ? Et pourtant c’est tout au plus si M. de Gobineau trouve une nation dans Rome, c’est à peine s’il accorde qu’il y ait eu une civilisation romaine ! Dans la première, il voit à chaque instant les élémens sabins, sicules, grecs ou gaulois, et leur fusion, si évidente pourtant, lui échappe sans cesse. En parlant de la seconde, il dit volontiers la culture romaine. Il lui reproche tout, hommes et choses, et je ne vois pas qu’il ait rien trouvé à louer. Mais alors, pourrait-on demander, comment se fait-il.que Rome ait pu grandir ? comment se fait-il même qu’elle ait pu vivre ? Cette question, l’auteur n’a pas songé à la poser, et en vérité, pour qui regarde les mélanges ethniques comme dégradant et abaissant nécessairement l’espèce humaine, la réponse était difficile.

Après avoir subjugué l’Italie, Rome subjugua le monde, et, qui plus est, elle le romanisa. Cependant, et M. de Gobineau insiste lui-même sur ce point, ses élémens premiers avaient disparu : aux métis de blancs et de jaunes s’étaient joints ou substitués les métis de Sémites et de Chamites. Au temps des Caligula et des Néron, le sang national primitif était dilué au point de ne pas laisser de vestiges. Rome avait-elle pour cela perdu son ascendant, et quand elle rencontrait des chefs dignes d’elle, ne reparaissait-elle pas tout entière ? Les règnes des Trajan et des Marc-Aurèle sont là pour nous montrer comment elle retrouvait alors ses instincts et ses forces. Pour interpréter ce phénomène social, je me servirai d’une comparaison toute