Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les actes de sa vie, sur ses intentions même, des regards un peu plus pénétrans que de raison, et de fournir matière, en dehors de l’art, à des suppositions imprévues ou parfaitement contradictoires. Il y a vingt-cinq ans, au lendemain de cette révolution où l’on veut aujourd’hui qu’il soit intervenu les armes à la main, on lui prêtait des passions politiques fort différentes. Le Cromwell et les Enfans d’Edouard étaient, disait-on, une allusion aux faits de l’histoire contemporaine, un pieux hommage aux vaincus, une leçon à l’adresse des vainqueurs. Étrange leçon ! soit dit en passant, et pour le moins bien inutile : aussi M. Delaroche ne songea-t-il nullement à la donner. De ces deux tableaux que l’esprit de parti prétendait transformer en moralités de circonstance, l’un était achevé longtemps avant la révolution de juillet, l’autre ébauché déjà au moment où cette révolution éclata. À moins d’accorder au peintre un don singulier de prescience, il faut convenir qu’en travaillant à ces ouvrages, il n’en soupçonnait guère l’opportunité prochaine et la signification qu’on allait y chercher. Non, les arrière-pensées de M. Delaroche à cette époque de sa vie et à d’autres époques, les intentions secrètes dont on s’est plu à compliquer son talent, tout cela n’est qu’erreur ou invention. Nous ne prétendons pas dire, tant s’en faut, que M. Delaroche fût indifférent à toutes les causes, qu’il se tînt en dehors des événemens où des idées qui venaient à se succéder dans son pays. Il avait, comme homme, des préférences auxquelles il est resté fidèle ; mais, comme peintre, il n’entendait faire ni de l’art un moyen d’action éphémère, ni de son pinceau un instrument de polémique ; son ambition était plus haute, et son entreprise plus vaste, plus humaine. Le peintre de Charles Ier, et de Jane Grey, de Napoléon à Fontainebleau et de Marie-Antoinette, de Strafford et des Girondins, l’artiste qu’émeuvent toutes les grandes infortunes, qui célèbre tous les genres d’héroïsme sans distinction de race ni de drapeau, — un tel homme à coup sûr ne prend pas l’attitude d’un homme de parti, mais bien la tâche d’un historien et d’un moraliste. L’histoire est-elle véridique, la morale ressort-elle clairement des scènes représentées, voilà le point essentiel. Que le choix du sujet intéresse à tort ou à raison les passions du moment, peu importe : l’esprit de l’œuvre n’est pas là.

Il faut le dire pourtant. En faisant une part si large dans l’art à l’élément historique, à l’étude philosophique du fait, M. Delaroche courait risque d’amoindrir d’un autre côté la portée pittoresque de ses travaux, et de remplacer par des procédés en quelque façon littéraires les moyens d’expression qui appartiennent au pinceau. La pensée de M. Delaroche était celle-ci : « Les grands maîtres ont exploité le champ de l’invention poétique avec un tel succès, qu’à peine