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ensemble, et sans remonter à la souche anglaise ; il s’est ainsi formé sur place une race supérieure qui alimente annuellement un commerce considérable, principalement avec la Champagne[1].

L’existence de populations entières résultant du croisement des races humaines est un fait non-seulement de toute évidence pour le présent, mais que les études de la nature la plus variée retrouvent à chaque instant et de plus en plus dans le passé de l’humanité. Quelques influences locales peuvent, il est vrai, retarder le développement de ces races. Deux auteurs anglais, Etwick et Long, qui tous deux ont écrit une histoire de la Jamaïque, s’accordent à déclarer que dans cette île les mariages entre les mulâtres sont moins féconds que les alliances contractées par un de ces métis, soit avec un blanc, soit avec un nègre. M. le docteur Yvan m’a même assuré qu’à Java les métis de Malais et de Hollandais ne se reproduisaient pas au-delà de la troisième génération[2] ; mais entre ces faits tout exceptionnels et les conséquences qu’en ont tirées soit les ethnologistes américains, soit surtout le docteur Knox, il y a tout un abîme. Pour les réfuter, il suffit d’ouvrir le premier livre de voyage venu et surtout de citer quelques chiffres. En prenant pour exemple en Amérique les cinq états du Mexique, de Guatemala, de la Colombie, de La Plata et du Brésil, on trouve que les métis de toute sorte entrent pour un cinquième dans la population totale[3]. M. d’Omalius d’Halloy, après avoir discuté toutes les données de ce problème, estime

  1. Je crois devoir me borner à ces deux exemples, sans entrer dans une discussion qui serait ici déplacée, et sans traiter tout au long la question des races obtenues par croisement. À ceux qui en nient l’existence, il est, on le voit, facile de répondre par des faits. Quant aux faits qu’ils invoquent à leur tour, il est en général aisé de les expliquer. Certains mécomptes dont on a fait grand bruit étaient faciles à prévoir. Lorsque par exemple on s’est laissé guider par les doctrines exclusives du Jockey-Club, lorsqu’on a voulu mêler à toutes nos races chevalines le sang du cheval anglais, on devait manquer bien souvent le but qu’on se proposait d’atteindre. Comment cette race tout artificielle, habituée à des soins minutieux, chez laquelle une éducation spéciale a développé outre mesure un tempérament nerveux et la faculté de dépenser en quelques minutes une somme énorme de force, aurait-elle pu venir en aide à nos races montagnardes, à qui l’on demande avant tout la sobriété, la rusticité, la patience, la résistance aux fatigues longues et soutenues ? Ses qualités mêmes devenaient ici des défauts graves, et les plaintes qu’arrachait à nos agriculteurs de l’Auvergne ou des Ardennes le résultat de certains croisemens étaient parfaitement fondées. On avait agi contrairement aux données les plus élémentaires de la physiologie : l’insuccès était inévitable. — Toutes les fois au contraire qu’on a tenu compte de ces données, la réussite a couronné des tentatives intelligentes. L’histoire de presque toutes les grandes races domestiques est là pour attester cette vérité.
  2. Dans les autres colonies hollandaises, me disait encore le Dr Yvan, les croisemens entre les deux races sont indéfiniment féconds, comme ils le sont partout ailleurs entre toutes les autres races.
  3. Les chiffres qui donnent ce résultat ont été recueillis en 1824 et 1830.