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de bon voisinage ; mais la rapine exerçait de trop fortes séductions sur l’esprit du Germain. Les Franks, ces braves champions qui avaient défendu la Gaule au prix de leur sang, ne résistèrent pas à la tentation de la piller eux-mêmes, quand ils la virent pillée par les autres. Les Mamans en firent autant : ceux-ci entrèrent dans la première Germanie, ceux-là dans la seconde, et saccagèrent Cologne et Trêves. Les tribus saliennes cantonnées sur le Bas-Escaut, qui étaient fédérées de l’empire depuis un demi-siècle, n’en saccagèrent pas moins les villes de la seconde Belgique : tout le monde voulait prendre part à la curée. Saint Jérôme, dans une lettre plusieurs fois interrompue par ses larmes (c’est lui-même qui nous le dit), retraçait ainsi le tableau de cette Gaule où il avait passé sa jeunesse, et qu’il aimait comme sa seconde patrie : « O déplorable république, s’écriait-il, la barbarie tout entière s’est donc conjurée contre toi ! Entre l’Océan et le Rhin, entre les Pyrénées et les Alpes, rien n’a été exempt de ses ravages. Mayence, cette noble ville, n’est plus qu’une ruine ; Worms a péri après un long siége à Reims, Amiens, Arras, la cité des Morins, où finit notre monde, Tournay, Spire, Strasbourg, de villes romaines sont devenues germaines. L’Aquitaine et les provinces qui l’entourent sont dévastées, sauf quelques lieux fortifiés que la faim dépeuple au dedans, tandis que le glaive les presse au dehors. Est riche qui peut avoir du pain, est puissant qui ne traîne pas une chaîne à son pied… »

Nous trouvons dans les vers d’un poète gaulois témoin et victime de l’invasion un autre écho lointain et douloureux des souffrances de nos pères : « Hélas ! nous dit-il, quand la masse entière de l’océan sorti de son lit serait venue fondre sur nos campagnes, tout n’eût pas été englouti ; quelques points auraient surnagé au-dessus des vastes eaux : ici tout a péri. Nos récoltes sont perdues jusqu’à la semence. Nos troupeaux ? nous n’en avons plus, et nous cherchons la place où furent nos oliviers et nos vignes. Nos villas à demi dévorées par la flamme, la pluie les achève, et celles qui restent debout, en si petit nombre, sont vides et abandonnées : spectacle plus triste ! que la ruine ! Ni les châteaux assis sur les rocs à pic, ni les villes fortifiées sur de hautes montagnes, ni la ceinture profonde des fleuves autour de nos murailles, rien n’a pu nous protéger. La rusé a pénétré là où s’arrêtait la force, et nous avons souffert, tous tant que nous sommes, tout ce que des hommes peuvent souffrir. »


II

Le contre-coup des événemens de la Gaule se fit sentir d’abord dans l’île de Bretagne. Ce diocèse de la grande préfecture du prétoire