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ment un des refuges naturels de l’esprit. Parmi tant de choses qui passent, elle a l’avantage de ne point passer et de rester une représentation toujours vivante, toujours présente, de l’intelligence. On peut la railler parce qu’elle met de l’éclectisme dans ses choix, de la diplomatie dans ses combinaisons, parce qu’elle fait trop de politique ou n’en fait pas assez, selon le point de vue où l’on se place. L’Académie à la fin a raison de tout ; elle est patiente parce qu’elle a le temps devant elle et derrière elle, parce qu’elle dure : elle ne meurt pas, elle se renouvelle sans cesse. Il y a quelque temps, elle perdait un homme d’une généreuse nature et d’un esprit élevé, que les lettres avaient donné à la politique, que les révolutions avaient rendu aux lettres, M. de Salvandy, dont le fauteuil resté vide est déjà l’objet de plus d’une ambition. Bientôt viendra la réception de M. de Falloux, l’heureux élu de l’an dernier. L’autre jour, l’Académie recevait M. Biot, un savant de premier ordre, succédant à M. Lacretelle. C’est M. Guizot qui était chargé de répondre au discours de M. Biot. Rien ne pouvait donc manquer à cette fête nouvelle, où se retrouvait toute une réunion choisie attirée par la science et l’éloquence. Ces séances académiques ont parfois d’ailleurs plus d’un genre d’intérêt. Ce n’est que là désormais, en certains jours, qu’on peut entendre des hommes rappelant avec autorité tout un passé dont ils ont été les témoins. On se sent porté à faire silence et à écouter de plus près lorsqu’un de ces hommes, d’une voix affaiblie par l’âge, évoquant ses souvenirs sur la première assemblée constituante, sur Mirabeau ou sur Robespierre, peut ajouter : « J’ai vu cette époque et j’ai vu ces hommes, moi qui vous parle ! »

Le prédécesseur de M. Biot, M. Lacretelle, datait déjà lui-même du XVIIIe siècle ; il avait vécu sous tous les régimes, depuis l’ancienne monarchie jusqu’au second empire, non sans avoir eu ses jours d’épreuve et sans avoir risqué sa vie comme journaliste à côté d’André Chénier. Peu tenté par l’ambition, il y a longtemps qu’il s’était réfugié dans les lettres ; il y avait trouvé la paix de l’esprit et une vieillesse heureuse. Ses histoires du XVIIIe siècle, de la révolution et de l’empire sont moins des œuvres de science et de jugement définitif que le témoignage sincère d’un contemporain exprimant cette impression spontanée des honnêtes gens sur les événemens qui s’accomplissent. Le nouvel académicien, M. Biot, est également de cette époque ancienne. Il y a plus de cinquante ans qu’il entrait à l’Institut comme membre de la section des sciences. Il a eu le général Bonaparte pour juge de ses premiers travaux. Il a connu de près ces savans éminens du commencement du siècle ou de la fin du siècle dernier, Monge, Bertholet, Laplace, dont il a été l’élève avant d’être à son tour ce que M. Guizot a appelé un des législateurs de la science, un de ces esprits qui mettent de l’ordre dans les grandes découvertes. Le grand âge de M. Biot se faisait sentir l’autre jour dans sa voix et donnait plus d’autorité à sa parole, car ils ne sont plus bien communs, ceux qui, rassemblant tous leurs souvenirs, peuvent ajouter ce que M. Biot disait après une longue expérience : « Combien n’avons-nous pas bâti de statues de neige au pied desquelles nous avons écrit esto perpétua ! » mot charmant, qui commence, hélas ! à n’être plus seulement le mot des vieillards. Ce que l’Académie française a voulu évidemment honorer en M. Biot, c’est le dévouement d’une longue vie à la science à travers les événemens les plus propres à troubler une vocation scientifique ou à la détourner. C’est là le sens de