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chesse et du bien-être, on montre que la proportion de la mortalité est bien moins forte qu’elle n’était autrefois ; puis voici tout à coup un chiffre qui prouve que la population est au moins stagnante. Cela ne laisse-t-il pas comprendre qu’il a beaucoup de factice dans ces supputations, ou qu’il y a ici quelque cause inconnue agissant par des voies secrètes sur les générations contemporaines ? Observés dans leurs détails, ces chiffres du dénombrement de la population en France révèlent un fait qui n’est pas moins grave, et que les esprits réfléchis remarquent depuis longtemps avec tristesse. Évidemment cette diminution, qui est sensible en certains départemens, n’est pas le résultat d’un appauvrissement de l’espèce humaine dans ces contrées. Les populations se déplacent, et elles se déplacent chaque jour davantage, comme le montre le dernier recensement. Quelles sont les populations qui s’accroissent ? Ce sont celles des villes, celles de Paris, de Lyon, de Lille. Paris, avec sa banlieue, selon un rapport même de M. le préfet de la Seine, a gagné plus de 300, 000 âmes depuis cinq ans, Lyon en a gagné 50, 000. En quelques années, la population accumulée dans les principales villes de France a augmenté de plus d’un million d’habitans. Quels sont au contraire les départemens où la décroissance se fait sentir ? Ce sont en particulier les départemens agricoles. Les campagnes se dépeuplent au profit des villes, l’agriculture est sacrifiée à l’industrie ou à d’autres travaux. La question serait de savoir si ces déplacemens sont le résultat d’un mouvement naturel tendant à transporter des bras là où ils sont nécessaires en les retirant des contrées où ils sont inutiles, s’ils ont pour effet de donner du bien-être à ceux qui mènent cette vie vagabonde en augmentant la puissance de la société tout entière, si en un mot cet accroissement de population dans certains foyers industriels, et notamment à Paris, correspond à un mouvement semblable de richesse réelle et productive. Il est douteux qu’il en soit ainsi. Les malheureux qui sont allés s’entasser dans les grands centres y ont vécu peut-être, ils y campent ; ils ont contribué à la gêne universelle sans améliorer leur condition, et ils ont laissé un vide dans les contrées qu’ils ont quittées. C’est, à ce qu’on dit, une loi de la civilisation d’attirer les populations vers les villes, et on invoque l’exemple de l’Angleterre, où l’agriculture, quoique plus florissante, emploie beaucoup moins de bras. On oublie que l’agriculture anglaise est toute différente, et il faudrait n’avoir pas mis le pied dans les campagnes de France pour ignorer que la difficulté des travaux de culture s’accroît tous les jours. Les populations obéissent à une sorte d’enivrement : elles trouvent la culture de la terre ingrate lorsqu’elles peuvent gagner davantage dans des travaux publics ou dans l’industrie ; elles vont dans les villes, où elles se laissent entraîner par les séductions d’une vie artificielle, et les personnes aisées donnent elles-mêmes l’exemple de cet abandon de la campagne. Qu’importe ? dit-on ; c’est le progrès ! Peut-être faudrait-il rendre à ce mot sa signification primitive. Le siècle marche, progreditur, il va même en avant, si l’on veut ; mais où va-t-il ? Est-ce vers l’amélioration véritable de la condition morale et matérielle des hommes ? Là est la question. C’est dans un ordre supérieur qu’il faudrait aller chercher les causes, les secrets de tant de mouvemens obscurs, inexpliqués, souvent contradictoires, et qui peuvent prêter à toutes les interprétations de l’intelligence.

Au milieu des diffusions de notre temps, l’Académie française est assuré-