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pour la mer Adriatique, que, comme on sait, le doge épousait tous les ans en grande cérémonie, — par les Espagnols pour les mers de l’Amérique du Sud et du Mexique, et enfin par les Portugais pour celles des Indes. Ce fut même contre ces derniers que fut écrit le Mare liberum de Grotius. De nos jours, ces énormités ne sont plus soutenues par personne. Chacun convient que la haute mer est un domaine commun ouvert à toutes les nations, et que les états riverains n’ont droit de souveraineté que sur la zone resserrée qui borde leurs côtes. Quelques publicistes ont voulu déterminer d’une manière précise la largeur de cette zone : Barthole l’étend à 100 milles, et Bodin à 60 ; mais ce ne sont là que des opinions de théoriciens. La raison et la pratique n’admettent pas que là souveraineté sur les eaux puisse s’étendre au-delà de la portée de la défense matérielle et permanente du littoral. Sans doute des conventions particulières peuvent interdire au belligérans tout acte de guerre dans des limites plus éloignées des côtes des neutres[1] ; mais on ne serait pas plus fondé à en exciper le droit de souveraineté en-deçà de ces limites que ne l’étaient Selden et ceux de son école à tirer de certains traités, par lesquels des états ont été forcés de renoncer à naviguer dans des parages déterminés, des argumens en faveur de leurs idées touchant l’appropriation de la haute mer.

De ce que la souveraineté des riverains s’étend sur toute la zone de défense, il s’ensuit que des états peuvent être maîtres et possesseurs de certains passages étroits, quelque besoin qu’en ait d’ailleurs la navigation commune des peuples, C’est ainsi que le sultan est souverain incontestable du Bosphore et des Dardanelles, et le Danemark maître du Sund ; mais comme ces passages conduisent à des mers intérieures, la Baltique et le Pont-Euxin, où tous les peuples ont le droit naturel de commercer, la propriété de ces détroits est grevée d’une servitude semblable à celle que supporte un champ enclavant à l’égard du champ enclavé, c’est-à-dire celle du droit de passage. Il est bien entendu néanmoins que ce droit ne doit nuire en rien à la puissance riveraine, laquelle reste autorisée à prendre toutes les précautions que réclame sa sûreté. C’est à ce titre que la Turquie a le droit de fermer ses détroits aux navires de guerre, et que le Danemark pourrait légalement en faire autant pour le Sund[2].

  1. Ces limites avaient été fixées à dix lieues dans nos anciens traités avec les états barbaresques.
  2. Il le fit en mai 1780 et déclara que la Baltique étant une mer fermée, incontestablement telle, par sa situation locale, où toutes les nations peuvent et doivent naviguer en paix, sa majesté danoise ne saurait admettre rentrée de vaisseaux armés dans cette mer pour y commettre des hostilités contre qui que ce soit. — Il y a toutefois dans ce droit de fermer les détroits aux navires de guerre une exception à prévoir. Supposons que la Russie, étant en guerre avec la France et la Prusse, aille attaquer par mer les provinces maritimes de cette dernière puissance : il est clair que le Danemark ne pourrait, sans se déclarer en état d’hostilité, refuser le passage à la France qui voudrait envoyer sa flotte au secours de son allié. On peut supposer un cas analogue pour la Mer-Noire.