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véritable déclaration de droit des gens, la proclamation du calife Omar, si souvent citée. Dans le moyen âge, le clergé parmi nous fit de généreux efforts pour faire respecter les principes de ce droit par la foule de petits souverains batailleurs qui se partageaient alors le sol de l’Europe sous les titres de duc, comte, margrave, et ne laissaient à l’autorité centrale qu’un pouvoir nominal et contrarié. L’institution de la chevalerie, secondant les efforts du clergé, les rendit souvent fructueux. Enfin, l’anarchie féodale ayant fait place à un système plus régulier, si ce n’est toujours meilleur, le droit des gens reçut des garanties qu’il n’avait pu avoir jusque-là. Un de ses plus importans triomphes fut la distinction que l’on établit entre la propriété de l’état avec lequel on était en guerre et celle des particuliers. Longtemps tout ce qui appartenait à un membre quelconque de la nation ennemie fut considéré comme de bonne prise partout où l’on pouvait s’en emparer. Le système des représailles s’étendait à tout et sur tous, et souvent des voyageurs parfaitement inoffensifs étaient dépouillés par suite de quelque querelle survenue depuis leur départ de leur patrie, et à laquelle ils étaient complètement étrangers. On conçoit quel dommage et quelles entraves un pareil régime apportait au commerce. Aussi ce fut un petit état commerçant, la ville de Marseille, véritable république indépendante au moyen âge, qui introduisit dans cette matière importante les premières améliorations relatives à la propriété privée[1], que peu à peu on s’habitua à respecter partout sur terre, sauf les désordres inséparables de la guerre. Des contributions méthodiques, levées sur la masse de la population selon les besoins de l’armée victorieuse, remplacèrent, à l’avantage de tous, le pillage et la dévastation. Les rigueurs des anciennes barbaries ne s’exercèrent plus, légalement du moins, que sur les villes prises d’assaut, et de nos jours ces rigueurs, quoiqu’encore autorisées par le droit de la guerre, ne sont que rarement pratiquées. On peut donc établir que le droit des gens moderne considère sur terre la propriété privée comme inviolable, de même qu’il n’applique qu’aux combattans l’action du glaive et la captivité temporaire, qui n’a plus rien de commun avec la réduction en servitude.

Cependant, par une anomalie qui peut paraître choquante et sauvage, ce respect pour les choses et les personnes privées ne les protégeait pas en mer. Là, la propriété privée était de bonne prise, et de pacifiques passagers, sans armes et sans intentions hostiles, pouvaient être faits prisonniers non-seulement par la marine militaire des parties belligérantes, mais encore par ces pirates patentés

  1. Voyez livre C, chapitre 35 des Statuts de Marseille, souvent cités par M. Pardessus, qui les a publiés en grande partie dans sa collection des lois maritimes avant le XVIIIe siècle.