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de déménager et de quitter l’installation définitive que chacun s’était faite ; mais le maréchal Pélissier commanda, et fut obéi.

Quand on ne peut changer de bivouac, il faut redoubler de vigilance pour chasser les miasmes organiques et purifier l’air en arrosant le sol des tentes avec un lait de chaux, en plaçant dans un coin un petit baquet rempli de chlorure de sodium, en abattant les tentes quand le temps le permet, ou tout au moins en relevant le tablier circulaire, pendant une grande partie du jour, à la hauteur de 80 centimètres. Les soldats ont si peu de souci de leur santé, qu’il fallait les forcer de sortir de leurs tentes, où ils restaient blottis même par le beau temps, et les contraindre à sécher au soleil leurs vêtemens et leurs couvertures imprégnés d’humidité. Les cavaliers étaient plus dociles que les fantassins (les zouaves exceptés) à ces simples prescriptions, qui furent mises à l’ordre de l’armée. Aussi l’infanterie a-t-elle été la plus éprouvée.

Les cimetières ont été placés assez loin des camps pour que le rayonnement délétère en fût inoffensif. Toutes les recommandations du conseil de santé des armées ont toujours été observées à l’égard des cimetières. On y a répandu largement de la chaux vive et des chlorures dont l’armée n’a jamais manqué. Il en était de même pour les abattoirs. On a dit et écrit que les cadavres d’animaux empoisonnaient l’atmosphère de nos camps. C’est une erreur : ils étaient immédiatement enterrés. Le général Canrobert, dans les commencemens, encourageait par une prime ces sépultures, qui furent bientôt régularisées.

Les habitudes de propreté qui distinguent l’armée anglaise devraient bien s’introduire dans nos camps. Les Anglais lavaient à l’eau chaude leur linge de corps et en changeaient deux fois par semaine. Nos soldats étaient loin de prendre de tels soins. La malpropreté empêche les fonctions de la peau et engendre la vermine. Quand un malade arrivait à Constantinople, on commençait par tremper ses habits dans un bain d’eau bouillante. Au jour d’une revue, nos soldats montrent des habits neufs et bien brossés, un équipement militaire irréprochable ; cependant ces beaux bataillons laissent sur leur passage une odeur de caserne bien connue : la propreté est-elle incompatible avec le métier de soldat ? Le Turc trouve moyen, même en campagne, de faire chaque jour, à plusieurs reprises, les ablutions prescrites par sa religion ; la discipline militaire serait-elle moins puissante que la loi de Mahomet ? Si elle remportait un triomphe si méritoire, l’éducation militaire introduirait peu à peu dans les familles des ouvriers et des paysans ces bonnes habitudes qu’il faut envier aux Anglais ; ce serait une réforme nationale qui tournerait au profit de la santé publique. Nos casernes reluisent d’une crasse séculaire.