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étonnait nos ouvriers, mangeaient par jour 2 livres de viande. La chair nourrit la chair. Le soldat français, défalcation faite des os, reçoit tout au plus 120 grammes de viande par jour. J’admets qu’il en mangeait moins chez lui, surtout s’il vient des contrées pauvres : du moins avait-il à discrétion du pain, des choux, des légumes, du lard, des oignons. Le beurre variait son alimentation. Le lait, le cidre, à tout le moins la piquette, valaient mieux que l’eau qu’il boit au régiment. Il travaillait plus librement sans la contrainte disciplinaire, il ne faisait pas de marches forcées, portant un équipement dont le poids en campagne n’est pas moins de vingt-cinq kilogrammes ; , il se reposait quand il était fatigué, il mangeait quand il avait faim ; la nuit, au lieu de faire faction, il dormait, et en dormant, fût-ce dans une écurie, il aspirait à pleins poumons une quantité d’air qui n’était pas rationné comme dans les chambrées de la caserne.

Le budget alimentaire d’une compagnie de 80 hommes est pour un mois de 860 francs, qui se décomposent ainsi : 840 fr., total des 35 centimes pris chaque jour sur la paie de chaque homme ; 20 fr. au moins, provenant de la vente des eaux grasses ou apportés par les soldats qui travaillent en ville et par les ordonnances dont les services payés profitent à la masse. La compagnie consomme chaque jour du pain de soupe pour 6 fr. 50 cent., de la viande pour 18 fr., des légumes pour 1 fr. 50 c, du sel et du poivre pour 55 c. Ces 26 francs par jour font au bout du mois 793 fr. 50 c, qui se grossissent de 53 fr. 70 c. affectés au blanchissage, à l’éclairage, au cirage, aux balais et aux honoraires du perruquier. Il reste donc 12 fr. 50 c. d’excédant pour quelques frais éventuels. Beaucoup de capitaines commandans ont une fâcheuse tendance à réaliser des économies sur les dépenses de l’ordinaire, économies qui se traduisent finalement par une mortalité plus grande. Je m’étonne aussi qu’on confie à un caporal le soin d’acheter les vivres. Un caporal est rarement insensible aux séductions d’un petit verre d’eau-de-vie, et les marchands, qui connaissent sa faiblesse sur ce point, la font tourner à leur avantage et au détriment de la compagnie. Il vaudrait mieux qu’une commission spéciale fût chargée de la nourriture du régiment. Elle pourrait s’aboucher directement avec les producteurs et, par la suppression des intermédiaires ; faire bénéficier le régiment tout entier des profits prélevés par les revendeurs de deuxième et de troisième main. Achetée sur pied, la viande serait moins chère et pourrait être de meilleure qualité ; les soldats la dépèceraient eux-mêmes et s’initieraient ainsi à la vie des camps. On objecte que le soldat est soupçonneux et qu’il faut le laisser disposer à sa guise des fonds destinés à sa nourriture ; mais la commission